Emmanuel Macron : son projet de loi « Noé » finalement enterré par l’exécutif
Macron avait présenté en novembre 2015 les grands axes du nouveau projet de loi destiné à saisir les nouvelles opportunités économiques (Noé) apportées par la révolution numérique. Tout était ficelé pour janvier 2016. Finalement, la loi Noé c’est du passé, les mesures seront dirigées dans d’autres projets du gouvernement Hollande.
L’entourage de Macron a jugé que Hollande manquait d’ambition, alors qu’il finira par céder devant le patron de la JP Morgan.
Loi Macron : mais what is le « potentiel pondéré de disruption » ?
Le projet de loi sur les « nouvelles opportunités économiques » (NOE) liées au numérique s’appuie sur une série de concepts et d’indicateurs ronflants et un peu fumeux. On explique.
Chaud devant. Pont oblige, vous avez peut-être loupé la « keynote » (oui, oui, on ose le terme) de notre ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, le 9 novembre dernier, à Bercy – le ministère, pas la salle de concert à côté.
Après la loi Lemaire, qui concerne principalement des sujets dits « sociétaux », Macron nous bichonne une loi Macron II – joliment baptisée « NOE » pour « nouvelles opportunités économiques ». En clair : il faut monter à bord de l’arche si vous ne voulez pas couler avec le déluge du numérique.
Il n’est pas encore question de mesures précises, mais on devine les contours du futur texte. Celui-ci doit permettre d’« aller beaucoup plus vite dans l’innovation, la disruption, le financement » et « plus brutalement vers l’attraction des talents ». Pour ne pas parler qu’aux entreprises, Emmanuel Macron veut aussi « donner une place à tous » (ouf).
Le dossier de presse met en exergue une formule donquichottesque :
« Lorsque le vent souffle, certains construisent des murs, d’autres érigent des moulins. »
C’est peut-être là que se niche le véritable intérêt du raout organisé à Bercy. La présentation d’Emmanuel Macron et le dossier de presse regorgent de chiffres et d’indices qui irriguent cette conception très enthousiaste vis-à-vis des start-up, du « digital » (surtout sans les doigts) et des nouvelles formes de travail.
Elle est façonnée par les cabinets de conseil comme McKinsey, les géants de la banque comme ING ou les instituts Bruegel ou Montaigne, considérés comme très libéraux dans leurs analyses. Au mieux, le ministre cite des chiffres « bruts » issus d’Eurostat.
Certes, rien de nouveau. Mais devant le « PowerPoint » utilisé par le ministre, on peut être saisi d’un vertige : ce sont des boîtes dont le gagne-pain est « d’accompagner le changement » qui fabriquent des statistiques sur lesquelles le ministre s’appuie pour encourager le changement... A grands coups d’« indice d’intensité web » ou de « potentiel pondéré de disruption ».
D’ailleurs, en y regardant de plus près, les données utilisées sont amplement critiquables.
N’ayez crainte, vous allez gagner des sous. C’est l’un des premiers arguments qui revient dans la bouche du ministre :
« Ce sont des gains pour le consommateur, la vie coûte moins chère, ça va plus vite, les usages sont améliorés, ce sont des gains pour les entreprises. Ce seront aussi des potentialités de relocalisation de certains emplois. »
On peut se demander dans quelle mesure la robotisation et la dématérialisation permises par le numérique vont réellement inciter au redéploiement de métiers dans l’Hexagone, en dehors du vague espoir né des imprimantes 3D, mais arrêtons-nous simplement sur les « opportunités de pouvoir d’achat ».
Plutôt 300 euros que 2 500...
On nous annonce donc « 2 500 euros de gains par an et par ménage en moyenne grâce à l’économie collaborative ». Cette dernière représenterait « souvent un complément de revenu et des dépenses en moins pour les Français ».
Ce chiffre est tiré d’une étude publiée en juillet dernier par le groupe ING, une institution financière internationale qui travaille dans le secteur de la banque et de l’assurance. Il est précisé en introduction de l’étude qu’elle sert à « mieux comprendre comment les clients – actuels ou futurs – d’ING Bank dépensent, épargnent et investissent leur argent »...
ING, qui a travaillé avec Ipsos, tient tout de suite à préciser que, certes la « moyenne des gains est de 2 500 euros », mais qu’une mesure plus réaliste est donnée par le revenu médian : 300 euros. Tout de suite, c’est moins impressionnant.
Ça l’est encore moins si l’on précise bien que seuls 4% des sondés, en France, déclarent avoir pris part à l’économie collaborative... Et que seuls 28% déclarent vouloir y participer plus dans l’année qui vient.
Jeunes diplômés
Au passage, on s’étonne d’un point de méthodologie, qui éclaire bien cette « fabrique des chiffres » : seuls 27% des Français déclarent avoir entendu parler de l’économie collaborative. Et pourtant, 74% de tous les sondés ont une opinion quand on leur demande s’ils souhaitent y prendre une part plus active. Contactée, ING précise que le sondeur intercalait une définition de l’économie collaborative entre les deux questions et que les personnes interrogées avaient donc une « compréhension basique » du sujet. On a connu plus béton, comme méthodo...
ING précise enfin que les « sharers » sont généralement jeunes (moins de 35 ans) et d’un niveau d’éducation élevé. Il est clair que face à l’économie collaborative, certains sont plus égaux que d’autres.
Bref, le chiffre de « 2 500 euros par ménage et par an » ne veut rien dire.
Ça fait grandir les entreprises
Il faut avouer que le taux de croissance annuel en fonction de l’« intensité web », ça envoie du bois. Le graphique utilisé par le gouvernement ne mentionne pas de source, mais qu’importe : l’effet de sidération balaie bien vite ces prévenances. Rendez-vous compte : les boîtes qui ont une « forte intensité web » connaissent un taux de croissance exceptionnel de 7% par an.
C’est signé
En cherchant un peu, on s’aperçoit que ce fameux indice a été inventé par ... McKinsey ! Ce cabinet gagne son beurre en conseillant les entreprises dans « leurs mutations digitales ». Tu m’étonnes...
En farfouillant dans les rapports de McKinsey, on en apprend donc un peu plus sur la constitution de ce fameux indice. Il intègre trois aspects :
le nombre d’outils ou de technologies internet adoptés par une entreprise (messagerie électronique, site web, Intranet, recours au marketing en ligne…) ;
le taux de pénétration de chacun de ces outils (le nombre d’employés, de clients ou de fournisseurs ayant accès à ces technologies) ;
l’importance des outils, pondérée par les entreprises elles-même.
On apprend que l’étude a été menée, en 2010, sur 407 PME « représentatives », mais on n’en sait pas plus sur la méthodologie. Le fait que les entreprises donnent elles-même une pondération « importance des outils » laisse craindre le pire. Contacté, McKinsey a promis de revenir vers nous « rapidement »...
L’œuf ou la poule
En attendant, on peut laisser la parole à l’économiste Christian Saint-Etienne, membre de Les Républicains, cité par McKinsey, qui précise bien que :
« Les entreprises à forte intensité web (EFIW) ne sont pas surperformantes parce qu’elles utilisent intensément Internet, mais elles utilisent davantage Internet parce qu’elles sont plus dynamiques et plus orientées vers la croissance. »
..................
Au cabinet du ministre, une conseillère me répond par texto qu’il vient du « comité de pilotage qui comprenait des experts extérieurs ». OK, mais d’où vient le graphique que le ministre a longuement détaillé ?
« Aucune idée, il y avait une cinquantaine de présents. »
Il n’y a pas moyen de le retracer ?
« Si, mais là tout de suite, non. »
Chers journalistes...
Ce qui nous intéresse tout particulièrement est le « potentiel pondéré de disruption des business models ». Tapez cela dans un moteur de recherche et vous tomberez assez rapidement sur une étude du Global Center for Digital and Business Transformation, publiée en juin 2015 [PDF].
Ce « centre » est lié à l’Institut international pour le développement du management, à Lausanne, et au géant américain Cisco, pilier de l’architecture d’Internet...
Etant donné qu’il est cité ailleurs dans le dossier de presse, on soupçonne que c’est bien de là que vient le graphique... Là encore, il y a une bonne part de doigt mouillé : tout se base sur l’avis de patrons d’entreprises et sur les investissements dans les start-up. Surtout, on ne sait toujours pas d’où vient la ventilation par industries faite par le ministère, qui n’est pas celle utilisée par le Global Center for Digital and Business Transformation.
Amusant également, la présentation du ministre qui, en prenant à témoin les journalistes, explique :
« Il y a au début un choc. Les médias l’ont vécu. On a l’impression que plus rien ne vaut rien, que tout va disparaître. Que c’est un modèle de “zéro coûts” qui prévaut. Ce n’est pas vrai. Certains acteurs disparaissent, d’autres arrivent avec une nouvelle offre [...]. Le prix de l’information revient. Chacun retrouve sa place. »
Au vu de l’état de la profession, on n’est pas certain que ce soit un bon exemple.
Pour tout le monde ?
D’autant que le ministre laisse entendre qu’il y en aura pour tout le monde : il suffit de former les gens, de faciliter les statuts plus souples, plus indépendants (plus précaires ?).
Or, la question de savoir si la révolution numérique est schumpétérienne ou non (à savoir, est-ce qu’elle crée autant ou plus d’emplois qu’elle n’en détruit) n’est pas encore tranchée par les économistes (pour le moment, la réponse semble même être non).
Bref, il ne faut pas pousser très loin la mauvaise foi pour se demander si le constat qui fonde l’action du ministre n’est pas trop structuré par des cabinets de conseil, premiers meuniers de la révolution numérique.
Cet article de l’OBS, est l’exemple parfait de la non intelligence de Macron qui répète son texte d’acteur soufflé par McKinsey et la JP Morgan et qui est loin d’être un Mozart de la finance.
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