« Imaginez des cultures plus résistantes qui peuvent se développer dans des climats rudes, des plantes qui sont toxiques pour leurs parasites naturels mais inoffensives pour les humains, des cultures qui nécessitent moins d’eau ou de nutriments pour survivre en période de sécheresse, et des cultures qui sont temporairement immunisées contre des virus ou des épidémies. Et maintenant, imaginez que vous pourriez faire ces changements, et revenir en arrière, aussi simplement et rapidement que de décider de pulvériser, ou d’arrêter de pulvériser les plantes en question » [1], peut-on lire sur le site du fonds de pension Dominion, qui précise avoir investi dans les entreprises Monsanto et Syngenta. Un discours qui fait penser étrangement aux débuts de la transgénèse… ou plus récemment aux publicités pour les nouvelles biotechnologies comme Crispr/Cas9 ou les Talen.
Les plantes transgéniques modifiées via l’interférence ARN (voir encadré ci-dessous) existent depuis de nombreuses années (à l’instar de la tomate Flavr/Savr à mûrissement ralenti, le porte-greffe résistant au court-noué expérimenté par l’Inra à Colmar ou encore les pruniers résistants au virus de la Sharka, expérimentés en Roumanie). Le site de Monsanto évoque de nouveaux développements « vendeurs » comme des cacahuètes non allergisantes, des graines de café décaféinées, un soja à teneur en huile « améliorée » ou un maïs résistant à des chenilles [2].
L’ambition de l’entreprise Monsanto n’est donc plus de modifier le génome des plantes en laboratoire mais d’agir directement au champ. Concrètement, elle ne souhaite plus faire produire l’insecticide par la plante elle-même mais pulvériser une solution sur la plante, qui contient de l’ARN interférent. Comme le précise Robert McCarroll, un des responsables du programme BioDirect chez Monsanto, le développement de traitements pour les plantes utilisant l’interférence ARN « permet d’apporter la valeur de la protection biologique à base d’ARN sur des cultures qui ne pourraient économiquement pas supporter le développement d’un caractère transgénique ».
Interférence à ARN : kezako ?
L’interférence à ARN est un phénomène biologique par lequel une molécule d’ARN peut « éteindre » l’expression de certains gènes, issus de végétaux ou de virus [3]. L’ARN messager (ARNm), comme son nom l’indique, sert à transporter l’information génétique de l’ADN (qui se situe dans le noyau de la cellule) vers le cytoplasme où cette information est alors transcrite en protéine. Si on détruit cet ARNm, la protéine n’est plus produite et si cette protéine était essentielle à la bonne survie de l’organisme vivant, ce dernier meurt… Les chercheurs ont réussi à produire des ARN interférents (ARNi) qui viennent se coller à un ARNm en particulier, entraînant alors sa destruction. A noter encore que ce phénomène d’ARN interférent existe dans la nature : c’est une des « solutions » que certains organismes ont trouvé pour lutter contre les virus. Les entreprises expliquent qu’elles ont la possibilité de produire ainsi des ARNi très spécifiques, qui n’agissent que sur une espèce animale, par exemple.
Sur son site, Monsanto précise que « la technologie BioDirect utilise des molécules trouvées dans la nature et que nous espérons pouvoir utiliser dans le cadre de protection locale des cultures ou d’autres produits ». Et de citer la gestion des mauvaises herbes, des insectes ou encore des virus [4]. Si l’entreprise ne s’exprime pas sur le caractère OGM ou non OGM des plantes obtenues au champ, un journaliste qui a visité un site de l’entreprise explique dans un article publié en août 2015 que l’intérêt « est de pouvoir contrôler les gènes sans modifier le génome de la plante, c’est-à-dire sans créer d’OGM ».
Monsanto annonce également sur son site que plusieurs projets sont sur le point d’aboutir… Il mentionne ainsi la fabrication de plusieurs « sprays » à pulvériser sur des cultures de pomme de terre contre le doryphore [5], et sur des tomates contre le virus de la maladie bronzée (Tospovirus).
Un autre projet plus récent vise à réduire le flétrissement des fleurs coupées. Ce projet peut être lu dans le détail avec la demande de brevet n°61793020 déposée par Monsanto en 2013 aux États-Unis, toujours en attente de réponse. Ce brevet concerne l’application à la surface des fleurs d’un mélange contenant une séquence génétique d’au moins 18 nucléotides et inhibant le gène EIN2 impliqué dans la synthèse d’éthylène par les fleurs.
Mais le plus intéressant, ce sont les projets qui sont des « solutions » aux problèmes posés par l’agriculture intensive… Ainsi, explique Patrice Leveque, de Monsanto, dans le Bulletin des Agricultures, « des mauvaises herbes devenues résistantes au glyphosate pourraient redevenir sensibles »… Et contre le déclin des abeilles, vous avez aussi ? Bien sûr, avec le spray biotech à ARN de Monsanto, le fameux projet Remebee… Monsanto a racheté en 2011 une petite entreprise israélienne, Beeologics, qui avait mis au point une solution à base d’ARN pour permettre aux abeilles de résister aux attaques du Varroa. Remebee, comme les autres sprays biotech de Monsanto, attend l’autorisation de mise sur le marché aux États-Unis. Mais selon l’Union nationale de l’Apiculture française (Unaf), l’une des raisons du déclin des abeilles est l’intensification de l’agriculture (disparition des haies, homogénéisation génétique des cultures, augmentation des pesticides, en nombre mais aussi en puissance, notamment les néonicotinoïdes, etc.). L’Unaf considère donc que ces sprays ne sont qu’une fuite en avant, car c’est le modèle agricole qui est responsable : « Monsanto essaye de se refaire une image auprès des apiculteurs » affirme-t-elle.
Que dit l’administration ?
Reste à savoir comment Monsanto va présenter ces nouveaux produits aux Agences en charge de l’évaluation des produits biotechnologiques et des biocides. Le Bulletin des Agriculteurs [6], une revue en ligne québécoise, semble trancher le débat : « ces biopesticides sont des produits certifiés 100 % biologiques » !
Dans un article du Western Producer, publié en 2014 [7] Zoe McKiness, directrice de la stratégie et des opérations pour la technologie de la chimie [8] expliquait qu’il faudra beaucoup moins de temps pour mettre au point et obtenir une autorisation de mise sur le marché pour un produit « BioDirect » que pour une plante transgénique. Techniquement, mais donc aussi réglementairement, suppose-t-elle, car l’Agence des États-Unis en charge de l’Environnement (EPA, Environmental Protection Agency) demande moins de données pour les pesticides biologiques (le dossier est donc moins cher) que pour les produits chimiques synthétiques.
Mais le débat scientifique quant à l’innocuité de tels sprays est loin d’être tranché : quelle persistance des ARN dans les plantes et donc les aliments, quels impacts sur les organismes non ciblés ? La directrice McKiness élude la question avec un artifice déjà utilisé au moment de la mise sur le marché des premières plantes transgéniques : « chaque fois que vous mangez une pomme, vous mangez de l’ARN. Même lorsque vous buvez de l’eau, il y aura de l’ARN dedans, du fait des bactéries qui y sont présentes ». Nous voilà donc rassurés.
Les ARN favorisent les rachats
Syngenta a racheté, en 2012, pour plus de 400 millions d’euros (523 millions US dollars), l’entreprise belge DevGen, spécialiste de l’interférence ARN et qui détient de nombreux brevets sur cette technique [9]. Et Monsanto, toujours en 2012, s’est alliée à un autre champion de cette biotechnologie, Alnylam Pharmaceuticals.
Monsanto et les nouveaux OGM
Monsanto n’était pas présente lors de l’audition sur Crispr/Cas9 à l’Assemblée nationale en avril 2016, et son nom est rarement cité dans le cadre du développement de telle ou telle plante modifiée par une nouvelle technique… Pourtant, l’entreprise n’est jamais très loin. En 2001, Renessen – une joint venture entre Monsanto et Cargill – signait un accord de licence exclusive avec Sangamo BioSciences. Cette entreprise étasunienne détenait un brevet sur une technologie « de reconnaissance universelle de gène » qui permet de développer des protéines pouvant se lier à l’ADN qu’elle a appelée les protéines à doigt de zinc se liant à l’ADN (zinc finger DNA binding protein – ZFP). Une technique qui a été déclinée depuis et a donné naissance aux nucléases à doigt de zinc. Cette licence donnait à Renessen le droit d’utiliser cette technique pour « améliorer la valeur de certaines cultures pour l’industrie de la transformation et de l’alimentation animale » [10].
En 2012, c’est avec la fondation TwoBlades que Monsanto signait un accord de licence concernant les protéines TALEN (http://www.infogm.org/spip.php?arti...). Ces protéines font partie de la famille des nucléases dirigées sur site comme les nucléases à doigt de zinc, les méganucléases, Crispr/Cas9, Cpf1… Elles sont utilisées comme ciseaux pour couper l’ADN et introduire une mutation ou un gène à l’emplacement de la coupure.
En juin 2016, Monsanto signait deux accords de licence, l’un avec la startup israélienne TargetGene Biotechnology LTD spécialisée dans les techniques de modifications génétiques via l’ARN (RNA-guided gene-editing techniques [11]..., et l’autre avec l’entreprise allemande Nomad Bioscience, elle aussi impliquée dans la mise au point de nouveaux OGM.
[1] http://dominion-funds.com/es/all-ar...
[2] http://www.monsanto.com/products/pa...
[3] Inf’OGM, « Interférence ARN : 20 ans d’autorisations commerciales... sans évaluation », Eric MEUNIER, 25 février 2015
[4] http://www.monsanto.com/products/pa...
[5] brevet n°WO2015010026 A3, https://www.google.com/patents/WO20...
[6] http://www.lebulletin.com/cultures/...
[7] http://www.producer.com/2014/11/rna...
[8] director of strategy and operations for chemistry technology
[9] https://www.google.com/patents/WO20...
[10] http://www.prnewswire.com/news-rele...