Karine Lacombe : « D’ici cet été, l’épidémie de Covid-19 sera jugulée »
Anne-Christine Poujoulat / AFP
Cheffe du service des maladies infectieuse à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, Karine Lacombe est l’un des visages les plus médiatiques de la lutte contre le Covid-19. Essayant d’amener de la rationalité à la télévision, elle a été l’une des premières à s’opposer publiquement à la méthodologie de Didier Raoult à propos de l’hydroxychloroquine, ce qui lui a valu de violentes attaques. Plutôt qu’un livre, l’infectiologue vient de publier avec la dessinatrice Fiamma Luzzati un récit graphique La médecin (Stock), dans laquelle elle dévoile son quotidien de soignante durant la crise sanitaire, s’explique sur son travail de pédagogie dans les médias, mais affiche aussi ses engagements féministes. Dans un grand entretien accordé à l’Express, Karine Lacombe revient avec un franc-parler tonitruant sur ses joutes contre les soutiens de Didier Raoult, sur les accusations de conflits d’intérêts avec les laboratoires ou sur la visibilité (réduite) des femmes scientifiques durant cette période. D’ordinaire très prudente en matière de prédictions, la chercheuse se dit confiante sur le fait qu’on ne portera plus de masques dans quelques mois.
L’Express : Les mesures prises contre la deuxième vague semblent être très efficaces. Le confirmez-vous ?
Karine Lacombe : Nous avons senti le frémissement de la décrue quinze jours après la mise en place du couvre-feu. A Paris d’ailleurs, l’épidémie s’est effondrée assez vite. C’est la meilleure illustration que la transmission se fait dans le cadre des espaces de convivialité qui augmentent le risque de promiscuité : bars, restaurants, cellules familiales et amicales...
Comment voyez-vous la suite ?
Que les restaurants et les bars n’aient pas rouvert, malgré toute la compassion que l’on peut ressentir pour les restaurateurs, est une bonne décision prise pour le déconfinement. Quand ils rouvriront le 20 janvier, nous serons un peu plus de quinze jours après les fêtes de fin d’année. Nous saurons à ce moment-là si ces fêtes auront été le point de départ d’une nouvelle vague épidémique. S’il n’y a pas de reprise des infections, on pourra se dire que les gens ont bien appliqué les gestes barrière. En revanche, en cas de reprise, il sera difficile de rouvrir cafés et restaurants.
Mais en parallèle, la vaccination aura certainement débuté. Une bonne campagne aura très vite un impact majeur sur l’épidémie. Dans un premier temps, on vaccinera ceux qui sont le plus à risque, c’est dire les personnes âgées, leurs accompagnants et tous ceux qui ont des comorbidités les prédisposant à avoir des formes graves de Covid-19. Ce qui d’ailleurs n’aura pas forcément d’impact immédiat sur la dynamique de l’épidémie. Il faudra donc pendant les premiers mois continuer si possible à télétravailler et maintenir un mode d’enseignement hybride, alliant distanciel et présentiel. Ensuite, on vaccinera les autres. Cela prendra un peu de temps pour enrayer l’épidémie, mais on devrait très rapidement constater une diminution des hospitalisations et de la mortalité, avant de voir une vraie diminution du nombre de nouveaux cas.
Ne faudrait-il pas vacciner en priorité ceux qui sont le plus susceptibles de transmettre le coronavirus, à savoir les jeunes et actifs ?
La raison pour laquelle cette épidémie a eu un impact si fort, c’est que nous avons dû stopper l’activité économique pour éviter que le système de soins ne soit saturé par l’arrivée massive à l’hôpital des personnes les plus fragiles dont un certain nombre se retrouve en réanimation, et meurt. Si le virus se transmet entre gens bien portants sans facteurs de risques, les hospitalisations et décès seront bien moins nombreux et on sera dans une épidémie plus classique, comme avec les autres virus respiratoires. C’est vraiment la saturation des hôpitaux qui nous a obligés à arrêter l’économie et bloquer la société.
Dans votre récit graphique « La médecin », vous racontez comment vous avez essayé de transmettre une parole rationnelle et pédagogique à la télévision. Votre passage le 9 novembre sur LCI résume bien le clivage actuel. Face à vous, le polémiste André Bercoff a assuré qu’il n’y a pas de lien entre le confinement et l’évolution de l’épidémie ou que l’opinion a été manipulée par un « fantasme de pandémie ». Vous avez éclaté de rire derrière votre masque, expliquant que vous ne pouviez pas répondre à ces théories complotistes...
Nous nous étions retrouvés un quart d’heure avant l’émission. André Bercoff s’était alors montré très sympa et ouvert. Il m’avait demandé de lui expliquer d’un point de vue statistique ce que signifiait l’efficacité vaccinale. Ses questions étaient intelligentes. Je me suis dit que Bercoff avait muté (rires). Ensuite, l’émission se passe vraiment bien durant une heure. Mais, alors qu’arrive la fin, il prend la parole et, assène des énormités épdidémiologiques tirées de son habituel discours polémiste, expliquant que le masque ne sert à rien, que les chiffres ont été manipulés, qu’on a délibérément amplifié le nombre des morts pour affoler et au final asservir la population, que ces personnes décédées du Covid-19 seraient de toute façon mortes rapidement... bref l’habituel discours complotiste. Une évidence m’a alors frappé : c’était un coup monté. M’interpellant de la sorte, il voulait me faire déraper pour se faire de la pub. Il voulait se taper Karine Lacombe.
Mais que pouvais-je faire, alors que l’émission se terminait ? Il aurait fallu un quart d’heure pour reprendre posément chacun des points et opposer à ses absurdités le fait scientifique. Face à son arsenal de complotiste, j’ai alors éclaté de rire et j’ai simplement précisé que ce qu’il répète en boucle sur Sud Radio est faux et l’ai invité à regarder les chiffres plus objectivement. A la sortie du plateau, André Bercoff était très agacé parce qu’il a pris ma réaction pour de la moquerie, et que David Pujadas avait souri. Le jour même, il a fait un montage détourné de ce passage et l’a mis sur les réseaux sociaux, expliquant que je n’avais pas d’arguments à apporter face à sa « démonstration », on voit donc bien comment se construit la manipulation de l’information.