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Institution de l’impôt sur le revenu Loi du 15 juillet 1914

vendredi 30 novembre 2018

Le 15 juillet 1914 le Sénat adopte la création de l’impôt progressif sur l’ensemble des revenus, après plus de 60 ans de débats sur la fiscalité.

Alors qu’en France la fiscalité repose sur les « quatre vieilles » contributions directes (foncière, mobilière, patente, portes et fenêtres), la plupart des grands Etats d’Europe occidentale et les Etats-Unis avaient adopté un système fiscal permettant à l’Etat de percevoir des ressources de manière plus productive et plus juste que par les droits de douane et les taxes sur la consommation.

La création d’un impôt sur le revenu avait été évoquée en 1848, par Garnier-Pagès, ministre des Finances de la IIe République. La proposition est reprise dans le « programme de Belleville », par Gambetta et l’opposition républicaine lors des élections législatives de 1869 face aux candidats officiels de Napoléon III. Mais après la chute du Second Empire, l’institution d’un impôt progressif sur le revenu est violemment combattue par Thiers en 1872, hostile à ce projet d’ « atroce impôt », et n’est soutenue que par les seuls radicaux.

De 1894 à 1898, tous les ministres des finances, à l’exception de Poincaré, déposent chacun un projet d’impôt sur le revenu. En 1896, le projet d’impôt général sur le revenu, présenté par le Ministre des Finances Paul Doumer, adopté par la Chambre, suscite un vote hostile du Sénat. Les radicaux invoquent le caractère social de cet impôt, tel Jaurès http://www.assemblee-nationale.fr/s... défendant à la Chambre, en 1894, un impôt personnel et progressif : « Dans une société où celui qui ne possède pas a tant de peine pour se défendre, tandis au contraire que celui qui possède de grands capitaux voit sa puissance se multiplier non pas en proportion de ces grands capitaux mais en progression de ces capitaux, l’impôt progressif vient corriger une sorte de progression automatique et terrible de la puissance croissante des grands capitaux ». En 1900, le projet de Joseph Caillaux, alors ministre des finances du gouvernement du bloc des gauches - inspiré de l’income tax britannique provoque une opposition très dure de la Fédération française des contribuables de Joseph Kergall et de la Ligue des contribuables de Jules Roche, député modéré et ancien ministre du Commerce, soutenue par Le Figaro. L’impôt sur le revenu est qualifié de dîme par ses opposants qui dénoncent une « inquisition fiscale ».

C’est le 7 février 1907 que Caillaux, à nouveau ministre des Finances du gouvernement Clemenceau, dépose sur le bureau de la Chambre des députés un projet de loi tendant à créer des impôts sur différentes catégories de revenus – les cédules : traitements, pensions, valeurs, revenus agricoles, industriels et commerciaux - auxquels s’ajoute un impôt progressif sur le revenu global. Le projet prévoit l’application d’un barème progressif aux revenus supérieurs à 5 000 francs.

Le projet de loi est adopté par la Chambre des députés le 9 mars 1909 par 388 voix contre 129. Mais il est ensuite rejeté par la commission des Finances du Sénat et le gouvernement qui l’avait présenté tombe le 20 juillet 1909.

Ayant fondé en mai 1907 l’Association d’Etudes fiscales et sociales Maurice Colrat de Montrozier dénonce un projet qui « porterait atteinte à la liberté individuelle, ruinerait le commerce et l’industrie et, par son caractère progressif, pourrait constituer aux mains des socialistes un véritable instrument de spoliation ».

A la veille de la Grande Guerre, on estime qu’1% des plus riches concentrent 55% de la valeur des patrimoines déclarés.

La position du Sénat va évoluer en raison du coût de l’application de la loi du 7 août 1913 portant le service militaire à trois ans, au lieu de deux (dossier relatif à la loi des Trois ans), et du vaste programme de réarmement décidé en parallèle. C’est ainsi qu’est accueilli favorablement le projet d’impôt annuel sur le capital, dans un but de solidarité nationale, présenté le 15 janvier 1914 par Caillaux, à nouveau ministre des Finances depuis décembre 1913, dans le gouvernement Doumergue.

Or, Caillaux, est éclaboussé par une violente campagne de presse orchestrée par ses adversaires Le 13 mars 1914 Le Figaro publie une lettre écrite en 1901 à sa première femme dont un passage tend à faire apparaître la duplicité du, personnage : « J’ai remporté un très beau succès : j’ai écrasé l’impôt sur le revenu en ayant l’air de le défendre. » Après l’assassinat, par Henriette Caillaux, seconde épouse du ministre, de Gaston Calmette, directeur du Figaro, qui avait commencé la publication d’articles consacrés, non seulement à la politique, mais aussi à la vie privée du ministre, Caillaux est contraint à la démission. Le 19 mars 1914, René Renoult, nouveau ministre des Finances, ajourne le vote de l’impôt sur le revenu.

Après les élections législatives d’avril et mai 1914, un accord intervient entre la nouvelle majorité plus à gauche de la Chambre, qui ne remet pas en cause la prolongation du service militaire et le Sénat, qui ne s’oppose plus à la création de l’impôt sur le revenu, en raison de la dégradation de la situation des finances publiques. Le projet présenté au Sénat par Joseph Noulens, ministre des Finances dans le gouvernement Viviani, contient des garanties limitant l’étendue de l’impôt : suppression des impôts cédulaires, caractère facultatif de la déclaration de revenus, plafonnement à 2% du taux de l’impôt, instauration de réductions pour charges de famille. Les dispositions relatives au nouvel impôt sur le revenu sont contenues par les articles 5 à 25 de la loi de finances promulguée le 15 juillet 1914 et parue au Journal Officiel le 18 juillet 1914.

Le 22 décembre 1914, quelques mois après le déclenchement de la guerre, les chambres siègent à nouveau en session extraordinaire après s’être ajournées lors de la séance d’Union sacrée du 4 août, Alexandre Ribot demande le report de l’application de la loi. Mais la baisse des revenus de l’Etat pendant le conflit et les besoins de financement rendent nécessaire en 1916 une première application de l’impôt général sur les revenus de 1915. La loi du 31 juillet 1917 crée des impôts cédulaires, applicables à partir de l’imposition des revenus de 1917, introduisant ainsi un système d’imposition mixte alliant l’imposition cédulaire à l’imposition générale et progressive.

Séance du 10 juillet 1907

Joseph Caillaux présente le projet de loi visant à introduire l’impôt sur le revenu

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