C’est historique : “la BCE enregistre une perte pour la première fois depuis près de 20 ans”, titrait hier Der Spiegel. Au total, l’institution européenne a enregistré une perte nette “de 1,266 milliard d’euros” pour 2023, poursuit l’hebdomadaire allemand.
Le déficit aurait même pu être plus élevé, “de 7,9 milliards d’euros”, si la banque centrale n’avait pas dépensé sa “provision pour risques, à hauteur de 6,6 milliards d’euros”, note Le Figaro. Par ailleurs, “la hausse des revenus liés au seigneuriage (la part de la BCE dans les profits liés à l’émission des billets de banque), en très forte hausse à 4,8 milliards d’euros, n’a pas suffi à effacer les pertes” [Les Echos].
Ce bilan va à contre-courant de la tendance affichée depuis “deux décennies”, où la banque de Francfort enregistrait des “bénéfices substantiels dans un contexte de taux bas et de faible inflation” [L’Usine Nouvelle]. Ses excédents avaient même dépassé le milliard d’euros plusieurs années de suite, note le Financial Times. Le précédent déficit, causé par les “effets de change liés à l’appréciation de l’euro”, remontait à 2004, rappelle Le Figaro. A l’époque, il avait atteint “1,6 milliard” d’euros, précise le quotidien.
Le coût de la politique anti-inflation
La “cause de cette contreperformance historique” n’est autre que la politique anti-inflation menée par la BCE depuis 2022, analysent Les Echos. Le “mandat principal” de l’institution est le “maintien de la stabilité des prix” [Les Echos]. Or, “avec la reprise qui a suivi les confinements Covid, le déclenchement par la Russie de la guerre en Ukraine, la flambée des tarifs de l’énergie et de l’alimentaire…”, la BCE a eu fort à faire [France info].
Pour limiter la “flambée des prix” au sein de l’Union européenne, elle a donc tenté de “freiner l’activité économique” en augmentant le coût des emprunts, poursuit la chaîne publique. Depuis l’été 2022, ses taux directeurs ont connu “une série sans précédent de dix hausses consécutives”, dénombre Der Spiegel. En seulement 18 mois, le taux de refinancement est par exemple “passé d’une moyenne de 0,6 % […] à 3,8 %”, indiquent Les Echos.
Autant d’intérêts supplémentaires que l’institution a dû payer aux banques commerciales. La BCE s’est donc retrouvée à devoir leur verser “14 milliards d’euros l’an dernier, contre 2 milliards en 2022″ [Le Figaro]. A cela s’ajoutent les “milliers de milliards d’euros” dépensés par l’institution depuis 2015 pour soutenir l’économie européenne : la BCE “paie désormais 4 % d’intérêts sur la quasi-totalité des réserves excédentaires qu’elle a créées dans le cadre de ce processus”, explique Politico.
La BCE reste optimiste
Les conséquences de ce déficit sont nombreuses. La BCE a notamment été “contrainte de supprimer l’année dernière les dividendes qu’elle versait aux banques centrales nationales”, alors qu’ils s’élevaient “à 5,8 milliards d’euros entre 2018 et 2022″ [Financial Times].
Sa crédibilité est par ailleurs entachée : “les pertes pourraient amplifier les voix critiques” à l’encontre de ses décisions, estime Reuters. Cela pourrait même “inciter les gouvernements à remettre en question le mode de fonctionnement de la Banque centrale”, nuisant à sa “légitimité et [à son] indépendance”, poursuit l’agence de presse.
L’institution reste toutefois optimiste. Si elle prévoit “des pertes au cours des prochaines années”, cela ne l’empêchera pas de mener une “politique monétaire efficace”, assure-t-elle [Le Figaro]. De plus, sa “solidité financière […] est assurée, avec des capitaux propres de près de 46 milliards d’euros, incluant d’importantes réserves de réévaluation” [La Tribune]. Surtout, “les banques centrales ne fonctionnent pas comme les banques commerciales et peuvent même fonctionner avec des fonds propres négatifs” [Reuters].
La BCE pourrait même décider d’une diminution de ses taux directeurs en 2024, lui permettant de limiter la casse. C’est en tout cas ce qu’a récemment affirmé sa présidente Christine Lagarde, évoquant une telle baisse “aux alentours de juin” [La Tribune].