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Rencontre avec Jean-Michel Vernochet

jeudi 19 mars 2009

Journaliste indépendant je paye assez cher ma liberté de pensée et d’expression, mais cela en vaut la peine. La liberté est une flamme qu’il faut brandir haut pour repousser la nuit du mensonge qui nous enveloppe de plus en plus densément.

M. Vernochet, voulez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous parler de votre conception du journalisme ainsi que de vos objectifs.

Juriste et sociologue de formation, j’ai longtemps appartenu à l’Administration française notamment dans le domaine de la défense et de l’illustration de la « francophonie ». Je me suis comporté toutes ces années de service public en « fonctionnaire de conviction », puis les choses sont devenues intenables en raison du dépérissement de l’État français qui se vide peu à peu de sa substance – en particulier à cause d’ailleurs de l’américanisation galopante de nos mœurs, de la déréglementation imposée par l’idéologie libéraliste et subséquemment, de la liquidation progressive de l’état de droit dans nos sociétés… Écrivant depuis longtemps, j’ai divorcé de mes fonctions afin de commencer une nouvelle vie voici une quinzaine d’année en m’attachant à devenir un témoin actif, voire engagé, du monde et de ses dérives…

Vous avez publié un livre “Manifeste pour une Europe des peuples”. Que recouvre ce titre et comment jugez-vous les orientations présentes de l’unification européenne ?

Ce titre est aussi un programme : l’Europe doit replacer l’homme et les peuples au centre et comme finalité de sa construction politique. Aujourd’hui l’Europe n’est pas au service des hommes mais au service d’oligarchies financières apatrides, autrement dit sans patrie, sans foi et sans autre loi que celle de leurs intérêts égoïstes.
L’actuelle construction européenne est totalement artificielle, elle se résume schématiquement à un vaste espace de libre-échange et à une idolâtrie impie : le « monothéisme du Marché » qui fait de l’homme une simple marchandise. En vérité, l’Europe de Bruxelles n’a, à mes yeux, aucun avenir, car la crise finira par la faire imploser sous la pression des ses propres contradictions.
Des contradictions que vont exacerber les crises qui se succèdent très vite aujourd’hui : crise financière, crise économique et sociale, crise environnementale… J’explore d’ailleurs toutes ces perspectives dans un nouveau livre à paraître dans quelques semaines « Europe ! Chronique d’une mort annoncée » !

Quel bilan tirez-vous de la présidence française de l’Europe et quelle importance accordez-vous à la mésentente du couple franco-allemand ?

M. Sarkozy, malgré les effets d’annonce et une politique médiatique très éprouvée – le Président Sarkozy est un grand « communicateur » ! – n’a pas à son actif des résultats fracassants. La rupture de facto a été consommée avec l’Allemagne en raison de divergences croissantes sur différents dossiers tels que le projet d’Union pour la Méditerranée, la gestion de la crise géorgienne d’août 2008 ou encore la « gouvernance » européenne de la crise financière… Aujourd’hui M.Sarkozy et Mme Merkel semblent s’être rabibochés (raccommodés) en vue de la réunion du G20 à Londres aux premiers jours d’avril, mais ne vous y trompez pas ! Berlin joue son propre jeu et entend gérer la crise qui déferle sur l’Europe avec ses propres moyens et avec les atouts qui sont les siens – je fais référence à la vitalité de son économie ! En toute logique, nous devrions voir très vite au sein de l’Union européenne s’exacerber les « nationalismes », autrement dit le repli des nations sur elles-mêmes indépendamment des grands appels à la solidarité…

En politique intérieure, la France connaît actuellement des grèves, une agitation universitaire, et elle est entrée en récession. La position du président Sarkozy est-elle menacée ?

La présidence française est de fait à l’intérieur – mais aussi à l’extérieur, en Allemagne par exemple - de plus en plus et de plus en plus ouvertement contestée. L’impopularité de M. Sarkozy est désormais un fait unique dans les annales de la Ve République. Il est vrai que voulant tout piloter en direct et par lui-même, il s’est privé du « fusible » que constituait traditionnellement le Premier ministre. M. Sarkozy s’expose donc et il risque d’en payer, un jour ou l’autre, le prix fort. La France mais aussi beaucoup d’autres pays d’Europe ne sont en effet pas actuellement à l’abri d’« explosions sociales » aux conséquences profondément déstabilisatrices… on en a vu les prémices récemment en Espagne, en Lettonie et ailleurs où des mouvements populaires parfois violents se manifestent de façon très récurrente. Le retour de l’activisme indépendantistes avec des attentats meurtriers en Espagne, au Pays basque, ou en Irlande du Nord sont également des symptômes qui ne trompent pas de la montée d’une inquiétante fermentation sociale !

Selon vous quelles sont les lignes de force d’une nouvelle stratégie américaine ou occidentale commune, en particulier à travers le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN ?

La stratégie est simple : faire de l’Europe est une stricte dépendance des É-U. Le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan est à ce propos un signe qui ne trompe pas.
Cette démarche était a priori inutile et totalement inopportune. Mais Paris entend être le bon élève de la classe Europe et à ce titre veut « donner l’exemple » d’un certain zèle atlantiste. Le plus inquiétant c’est qu’en cas de conflit, dans le cas toujours possible où des attentats du type 11 Septembre se répéterait sur le territoire américain où sur le sol de l’un des membres quelconque de l’Otan, les forces armées françaises au titre de l’article 5 du Trait de l’Organisation de l’Atlantique nord, seraient automatiquement incorporées aux dispositif des forces armées américaines et placées sous commandement américain exclusif…
En clair, cela signifie que la France, par la décision de M. Sarkozy vient bel et bien de renoncer à son indépendance et à l’exercice souverain du choix de ses engagements militaires. À ce sujet je vous renvoie à mon intervention mise en ligne récemment :


Retour à l'Otan
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Quel regard rétrospectif ou prospectif portez-vous sur la crise financière mondiale, quelles sont ses causes et ses possibles conséquences ?

Dans la mesure où la crise financière se transforme maintenant en crise économique et partant, en crise sociale, crises qui elles-mêmes se combinent avec des crises de pénurie alimentaire – en grande partie dues aux spéculations sur les marchés des matières premières – des crises qui en outre se recombinent avec les crises climatiques et environnementales dont les effets commencent à se faire durement sentir, nous pouvons craindre le pire… L’actuelle conjoncture apparaît comme catastrophique.

Quant aux causes de ces crises ? Elles sont simples : les sociétés modernes se sont détournées de Dieu et vouent un culte à ces dévorantes idoles que sont l’argent, le plaisir immédiat… Tout dans nos sociétés dites évoluées est devenu objet de transaction, de commerce… Comment voulez-vous qu’un monde fondé presque exclusivement sur l’appât du gain puisse tenir debout ? L’écroulement était prévisible depuis longtemps, la crise n’est pas tombée du ciel et tous les yeux avertis la voyaient monter sur l’horizon depuis longtemps. Depuis toutes ces dernières années où les crises liées à l’éclatement successif de diverses bulles financières constituaient autant de signes précurseurs et d’avertissements dont aucun des dirigeants mondiaux – et pas seulement occidentaux – n’a voulu tenir compte !

Comment voyez-vous l’évolution de la politique occidentale envers l’Iran et la question palestinienne ?

Pour bien comprendre une politique il faut en appréhender la logique sur le long terme. Une politique n’est, la plupart du temps, conjoncturelle ou circonstancielle qu’en surface.
Dans le cas de l’Iran comme dans tous les cas depuis deux siècles, lorsque les É-U sont en conflit larvé ou ouvert, ils visent une « reddition sans condition ». Aujourd’hui les É-U ne parlent plus à propos de l’Iran – au moins dans l’immédiat – en termes militaires mais en termes diplomatiques. Or que veulent-ils sur le fond ? L’alignement de l’Iran sur leur politique, sa démocratisation et peut-être, à plus long terme, son démantèlement comme ils se préparent à le faire avec le Soudan, et comme ils ont achevé de le faire en février 2008 avec la Fédération yougoslave et l’indépendance unilatérale du Kossovo… Habitués des révolutions de velours, oranges ou arc-en-ciel, les É-U misent actuellement sur un changement de direction à la tête de l’Iran, tout comme ils s’efforcent de le faire à Khartoum. Qui n’a vu que la procédure judiciaire lancée par la Cour pénale internationale à l’encontre du Président soudanais Al-Bachir constitue un signal fort, un véritable feu vert, pour les oppositions soudanaises incitées de cette façon à renverser le régime ? Là où la force n’est pas à l’ordre du jour, la ruse prévaut…

Je crois avoir ainsi répondu à votre question : les É-U ne lâchent pas leur proie sauf contraints et forcés, et l’arrivée d’une nouvelle Administration à Washington ne change en rien les données fondamentales qui dirigent et orientent la politique américaine depuis 1991 et l’effondrement de l’empire soviétique… Les É-U n’ont pas encore renoncé à exercer une hégémonie mondiale (sous couvert de ce que l’on nomme pudiquement « l’unilatéralisme »). Leur maîtrise des mers, de l’air et de l’espace est intacte et à ce titre leur pouvoir d’intervention tous azimuts. À l’exception notable de l’aire eurasiatique couverte par l’Organisation de coopération de Shanghaï, laquelle prend de plus en plus figure d’Otan russo-chinoise. Au final, leurs capacités de nuisance universelle restent entières…

Que dire de l’attitude de l’Eglise catholique et des églises chrétiennes en Europe à l’égard de la question palestinienne ?

L’Église catholique, c’est-à-dire la Curie romaine, n’a jamais changé de position. Elle a toujours pris fait et cause pour les opprimés et les victimes des guerres odieuses conduites sans rime ni raison. Ce fut le cas en Irak, c’est le cas pour la Palestine, c’est le cas pour tous les conflits où la force s’exerce du fort au faible sans considération pour le droit des personnes et particulièrement celui des populations civiles.

Seule la désinformation par la stricte observance du « silence médiatique » est parvenue à occulter cette constance de l’Église dans la dénonciation de l’injustice. Soulignons vigoureusement que les déclarations pontificales ne sont pour ainsi dire jamais reprises par la presse et quand elles le sont, c’est le plus souvent, tronquées ou déformées. L’Église de Rome n’a donc pas failli à sa mission, mission qui, hélas, n’est plus – où très partiellement et sauf exception – relayée par un clergé catholique déliquescent.

L’Iran a célébré le 30e anniversaire de sa Révolution, ce pays reste au cœur des tensions internationales, à cette aune comment appréciez-vous les relations franco-iraniennes ?

Les liens entre les peuples dépendent hélas des politiques des gouvernements. Les élites iraniennes parlaient autrefois le français, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La France et l’Europe subissent chaque jour le matraquage de la propagande de guerre médiatique. L’Iran y est présenté comme un pays affreux où les droits de l’homme sont bafoués quotidiennement à tour de bras… le fossé se creuse et c’est ce que veulent ceux qui veulent dresser des barrières d’incompréhension et au-delà, des barrières de haine entre les peuples. Quand vous voulez soumettre une Nation, il faut au préalable la diaboliser pour faire que les opinions acceptent toutes les manœuvres, voire toutes aventures militaires, dirigés contre l’État paria. Certes je ne montre pas un optimisme débordant, mais la réalité est telle, et aujourd’hui, dans des temps difficiles, nous ne devons, moins que jamais, nous bercer d’illusions…

Paris Le 16 mars 2009

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