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Le Traité de Lisbonne et le vote Irlandais

Jean Michel Vernochet

vendredi 2 octobre 2009

• En dépit du Non irlandais en 2008, l’Irlande revote pour la ratification du Traité européen de Lisbonne. Est-ce un procédé réellement démocratique ?

Ce vote est une vaste plaisanterie. C’est en effet le texte à l’identique du Traité signé à Lisbonne 13 décembre 2007 et sur lequel les Irlandais doivent aujourd’hui se prononcer. C’est énorme ! Si le texte a été rejeté une fois, l’obligation était d’en présenter un autre revu et corrigé.

D’ailleurs, notez que le Traité de Lisbonne n’est déjà, ni plus ni moins, que le projet de Traité constitutionnel européen dont ni la France ni la Hollande n’ont voulu en 2005. Mais cette fois ce plat froid est resservi aux Irlandais sous un nouvel emballage, celui du Traité dit de Lisbonne, pour leur faire croire que les eurotechnocrates qui nous dirigent et nous parasitent, s’étaient donnés la peine de revoir leur copie sur le fond pour mieux tenir compte des attentes ou des desiderata des eurosceptiques, comme de tous ceux qui voudraient ardemment que la construction européenne soit tout autre chose que n’importe quoi.

Par n’importe quoi, j’entends une Union européenne qui serait autre qu’un vaste marché où la concurrence est réputée pure et parfaite… Autre chose qu’une base avancée des États-Unis par le biais de l’OTAN pour conduire sa politique d’expansion et de conquêtes sur les marches de la Fédération de Russie et en Asie… cela sous la surveillance jalouse de la « Commission » de Bruxelles qui exerce par ailleurs un despotisme de plus en plus asphyxiant sur tous les aspects de la vie des Européens, grands et petits…

Une Commission non élue, composée d’un corps de fonctionnaires financièrement ultra privilégiés et protégés, exerçant une dictature sans partage sur le destin de l’Europe un peu et même beaucoup à la façon de l’ancien Politburo de la Russie stalinienne.

Il est assuré, que les Européens, s’ils avaient eu, de façon égale, la possibilité de se prononcer par le truchement du suffrage universel, auraient massivement rejeté l’escroquerie que constitue ce Traité constitutionnel sous ses différentes moutures… d’abord en 2005 puis en 2007, sous la forme et la nouvelle étiquette du Traité de Lisbonne.

Or, les Français se sont vu interdire en 2008 de donner à nouveau leur avis puisque le nouveau Traité a été ratifié, après avoir été repoussé par la volonté populaire, scandaleusement par le Parlement, à savoir les deux chambres réunies en Congrès à Versailles ! C’est là un bel exemple de la démocratie telle que la comprennent nos actuels dirigeants, autrement dit une imposture…

Aujourd’hui, en ces temps de crise, on nous annonce que les Irlandais voteront Oui à l’Europe parce que celle-ci leur apparaît maintenant comme une planche de salut destinée à les sauver du marasme économique. La propagande pour le Oui les en a convaincus ; enfin c’est ce que disent nos médias, des médias qui, comme chacun sait, ne mentent jamais… Convaincus que les « pays riches », essentiellement la France et l’Allemagne, viendront au secours de la petite Irlande. C’est aller vite en besogne ! La France et l’Allemagne sont l’un et l’autre sur le fil du rasoir… Or la France surfe sur des déficits qu’elle accumule joyeusement, en un mot elle n’est pas très loin de la déconfiture ; à l’opposé l’Allemagne est engagée dans une sévère politique d’austérité qui laissera peu de place aux élans compassionnel envers des économies aussi marginales que celles de l’Irlande… ou de l’Islande, laquelle voudrait d’ailleurs bien rallier l’Union pour les mêmes raisons que l’Irlande est censée voter Oui.

En fait de prospérité – ne parlons surtout pas de bonheur – l’Union européenne avec l’hypercapitalisme triomphant a surtout apporté aux Européens - la phase d’euphorie étant définitivement close - des restructurations, des concentrations, des délocalisations, en un mot la destruction extensive de leur parc industriel et le chômage au profit des pays émergents, bref la fin des rêves de prospérité, cela pour le plus grand profit d’une oligarchie financière et manageuriale de plus en plus restreinte voire arrogante. Quel beau résultat. Merci Bruxelles…

• Selon vous, pourquoi le traité de Lisbonne est-il une question prioritaire pour les États-Unis et pour la Turquie ?

Parce que les É-U veulent achever la satellisation de l’Europe comme extension de leur propre marché intérieur. Une Europe qui est aussi et fondamentalement une plate-forme pour lancer la grande offensive stratégique vers le Caucase et l’Asie centrale que les É-U ont décidé sous le mentorat de Zbigniew Brzezinski, ce prodigieux machiavélien, afin de battre en brèche l’influence renaissante de la Russie et de contenir les ambitions du dragon chinois.

Cette grande stratégie, ce nouveau « Grand jeu », ne peut se concevoir sans l’Europe. Le Pentagone n’a-t-il pas installé sur le territoire Kossovo nouvellement indépendant grâce à ses œuvres, l’une de ses plus grandes bases logistiques existantes, le Camp Bondsteel ? L’une de ces bases arrière-avancées dont a d’autres exemples en Espagne, en Italie et surtout en Turquie, destinées aux théâtres d’opérations afghan et irakien, caucasien ou iranien peut-être demain…

Ainsi la Turquie, pilier oriental de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, Washington, lui a offert, pour prix de son alliance et de ses bases aériennes, l’Europe mise dans sa corbeille de mariée. Un mariage de raison, mais un mariage quand même. Le destin d’Ankara étant étroitement lié à celui des É-U en Méditerranée, chasse gardée de la VIe Flotte américaine, notamment par le truchement du Traité d’alliance stratégique passé avec ce 51e état de l’Union nord-américaine qu’est de facto l’État hébreu.

Dans ce contexte, vous comprendrez qu’une Union européenne de plus en plus fédérative, de moins en moins « souveraine », soit une priorité et même une urgence pour Washington qui souhaite désormais accélérer, mettre les bouchées doubles, pour achever l’intégration sous sa houlette du camp occidentaliste avec pour objectif explicite d’étendre sa zone de contrôle à un espace géostratégique ceinturant à la fois la Russie et la Chine.

• La construction européenne ne vous semble-t-il pas coïncider exactement avec l’extension de l’Otan dans les anciens satellites de l’ex Union soviétique ?

C’est un fait constatable par tous, sauf à être bigleux ou quelque peu demeuré, ce à quoi s’emploie d’ailleurs avec énergie nos médias si démocratiques et des classes dirigeantes uniquement préoccupées de jouir sans entrave ni temps morts, donc inutile d’épiloguer…

Depuis vingt ans en effet, et surtout depuis 2004, l’adhésion à l’OTAN est un passage obligé pour devenir membre de l’Union européenne. Je vous renvoie à mon dernier ouvrage « Europe, chronique d’une mort annoncée » aux Éditions de l’Infini, où tout cela est exposé en long, en large et en détail…

Plus inquiétant, c’est le retour insensible à une situation de pré-guerre froide avec le bloc eurasiatique, Russie et au-delà, Chine. « On » nous a annoncé récemment, avec des accents triomphaux, l’intention de l’Administration américaine d’abandonner le bouclier anti-missile qui devait être installé en Pologne et en Tchéquie. Nos fins observateurs se sont apparemment réjouis un peu vite. La réalité est tout autre : aux missiles d’interception qui devaient être positionnés en Pologne, seraient substitués, à partir de 20012, des intercepteurs embarqués, en Mer Baltique (un « Golfe » européen en quelque sorte !) sur des bâtiments de guerre de la classe Ægis. Une menace encore plus précise, faisant à nouveau de l’Europe, en l’occurrence l’espace extra-atmosphérique et le ciel européens, un champ de bataille potentiel dans une guerre futuriste, missiles contre missiles. Vingt ans après la fin de la Guerre froide rien n’a donc vraiment changé sur le fond et l’Europe reste ce qu’elle a toujours été depuis 1945, le champ clos de la rivalité, et des possibles affrontements, entre Océania et Eurasia (référence obligée à « 1984 » le chef d’œuvre prophétique de George Orwell), la thalassocratie, l’empire des mers contre la puissance continentale, Amérique versus Russie… Ah les beaux jours !

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