Marion Darrieutort est la co-présidente du Cabinet The Arcane, agence de conseil en gouvernance et en influence. Elle est aussi la présidente du Think Tank Entreprise & Progrès, qui réunit des dirigeants engagés pour le bien commun.
Marion Darrieutort (The Arcane) : « Le leadership n’a pas de genre »
Dans son ouvrage « Le temps des leaders pop ! » Marion Darrieutort porte un regard moderne sur le rôle des leaders. Ni masculin, ni féminin, surtout pas superhéros et ouvert aux autres : le leader de demain doit être populaire !
Quand on jette un œil au CV de Marion Darrieutort, on se dit qu’elle a tout d’une leader accomplie. Après avoir fondé l’agence Elan, elle est devenue vice-présidente d’Entreprises et Progrès, a participé à la création du TEDxWomen et du TEDxEducation, et a rejoint le comité stratégique du Positive Economy Forum. Elle dirige aujourd’hui The Arcane, cabinet de conseil en gouvernance et en influence. Le fil conducteur de ses expériences : faire évoluer les codes et les pratiques – y compris celles du leadership.
En 2023, elle se lance et écrit un livre sur le sujet. Le temps des leaders pop ! Changer de style de dirigeants pour changer le monde est paru aux éditions de L’Aube. L’ouvrage, qui mêle expériences personnelles et professionnelles, s’intéresse sur le rôle des nouveaux leaders, et propose une nouvelle voie. Exit les leaders élitistes et solitaires : place aux leaders populaires ! Interview.
Le livre débute par le récit de votre expérience personnelle – celle d’une femme devenue leader dans un monde d’hommes. Le leadership d’hier est-il masculin ?
Marion Darrieutort : Il est vrai que dans ma carrière – que ce soit dans la communication, dans mon activité de consultante ou dans mon think tank de dirigeants – j’ai souvent croisé des hommes au pouvoir. Je suis intimement persuadée que le leadership n’a pas de genre, mais qu’il est important de livrer un point de vue de femme pour le raconter. Le leadership doit être dans l’équilibre des codes et des valeurs dites féminines ou masculines. Or, peut-être que le leadership d’hier a eu tendance à l’oublier, à privilégier une position dominante à une position d’empathie. Cela a créé les dérives que l’on connaît : entre-soi, posture de « sachant », culte du secret… Des codes « masculins » que les femmes dirigeantes ont dû s’approprier. À ce titre, certaines sont critiquées. On leur reproche de se comporter « comme des mecs ». Moi, j’aimerais rendre hommage à cette génération de femmes, qui me précède, et qui n’a pas eu d’autre choix pour se faire une place que d’avancer avec des modèles très normés, très genrés. Bien sûr, l’époque est en train de changer. On n’attend plus de nos leaders qu’ils aient cette attitude de « superman », mais une posture d’ouverture.
Le leader de demain est donc défini par de nouvelles attentes. De qui viennent-elles ?
M. D. : Je pense que les évolutions viennent toujours des attentes de la société. En l’occurrence, les nouvelles générations attendent d’un leader qu’il soit un patron, mais aussi un guide. Il y a presque une notion de spiritualité dans cette approche transversale. Les leaders doivent être là pour faire grandir et éveiller plutôt que pour contrôler. Attention : ce changement doit être une évolution, pas une rupture. Tout n’est pas à jeter.
Ce qui est intéressant, c’est que le changement est aussi sémantique. On ne parle plus de « performer » mais de « gagner », d’« optimiser » mais de « créer »… Quelle est la place du langage dans l’avènement des nouveaux leaders ?
M. D. : Le langage a vocation à transmettre, à se connecter à l’autre. Or, j’ai l’impression que les leaders se sont emparé de la communication de manière mécanique. Les fameux « EDL » – éléments de langage – ont tué le leadership. Ils ne transmettent pas d’émotion, pas d’empathie. C’est pour ça qu’il faut avant tout repenser les mots. Cela m’a frappée au moment des vœux de bonne année des dirigeants politiques. Dans son discours, Emmanuel Macron a parlé de « pouvoir d’achat ». Pas de « salaires » ! Or, quand les gens discutent entre eux, ils ne disent pas « mon pouvoir d’achat a baissé », ils parlent de leur salaire ! Il faut arrêter d’adopter un vocabulaire particulier, les leaders doivent parler comme tout le monde pour véhiculer des émotions et une ouverture.
Vous résumez cette nouvelle posture en un terme : « pop ». Qu’est-ce que cela implique ?
M. D. : Cela veut dire plusieurs choses. La première, c’est qu’il n’est pas facile d’être leader. On fait pas mal d’erreurs. Le leader pop est capable de les reconnaître, d’exprimer ses doutes. Parce qu’il est ouvert et politique. Il n’est pas populaire au sens de « connu » ou « reconnu », mais parce qu’il est en prise directe avec la société. Bien sûr, cela peut le faire gagner en popularité. Mais c’est avant tout une question d’ouverture aux autres et à soi-même. Il y a un réel travail d’introspection, de recherche d’alignement interne.
Ce qui est populaire est à l’opposé de ce qui est élitiste. D’où vient le leader pop ? Sort-il des parcours traditionnels ?
M. D. : J’en formule le vœu de façon très appuyée. Nous n’y sommes pas encore… mais je crois fortement à l’avenir des leaders atypiques. Qu’il s’agisse de leur profil neurologique, de leur parcours de vie, de leur parcours universitaire – ou non universitaire ! –, les gens qui sortent des cases ont une immense valeur. La société ne les aide pas forcément à en prendre conscience, et ils font parfois tout pour faire oublier leurs différences. Mon métier me permet de les voir, de les approcher, et de constater ce qu’ils apportent à leurs organisations. Je ne parle pas uniquement de valeur financière, mais aussi de valeur humaine. Leur succès va les rendre visible, et, à terme, permettre trouver un équilibre entre les leaders issus de grandes écoles et ces profils plus créatifs car atypiques. C’est déjà le cas ailleurs, notamment aux États-Unis et en Israël. À nous de nous battre pour que cela évolue en France, dès l’école.
Votre livre a-t-il cette vocation d’encourager les futurs leaders à assumer leurs différences ? Ou doit-il permettre aux leaders établis d’évoluer ?
M. D. : J’aimerais que ce livre soit perçu comme un plaidoyer. Si certains leaders bien installés pouvaient apprendre quelque chose à sa lecture, j’en serais ravie. Mais j’aimerais en effet que les leaders de demain s’en inspirent. Ce sont eux, les jeunes, qui vont diriger le monde. Il faut les respecter… et les préparer.
Biographie
Après avoir fondé l’agence Elan en 2008, fusionnée avec Edelman en 2014, Marion Darrieutort entend pleinement se consacrer à l’accompagnement des décideurs. Vice-Présidente d’Entreprises et Progrès, membre fondatrice du TEDxWomen et du TEDxEducation ainsi que membre du comité stratégique du Positive Economy Forum auprès de Jacques Attali, elle est engagée sur les sujets de l’empowerement des femmes et d’une économie plus vertueuse pour servir le bien commun. Elle lance en octobre 2020 le cabinet The Arcane spécialisé en influence et en gouvernance pour répondre aux attentes de ses clients.