L’épargne des Français devrait bien financer l’armée, mais avec le livret A ou un nouveau produit ?
Le Sénat a voté mardi 5 mars 2024 une proposition de loi visant à flécher une partie de l’épargne du livret A vers des entreprises de l’industrie de la défense. Mais le gouvernement et notamment Bruno Le Maire se montrent réticents, préférant la création d’un nouveau produit d’épargne.
L’argent qui dort sur nos livrets va-t-il servir à financer l’industrie de défense ? Voilà plusieurs mois que cette question a été posée, plusieurs rebondissements sont survenus depuis. Dernier en date : l’adoption en première lecture au Sénat mardi 5 mars 2024 d’une proposition de loi relative au financement des entreprises de l’industrie de défense française.
Le feuilleton avait pourtant démarré à l’Assemblée nationale, en novembre 2023, avec l’adoption d’un amendement au projet de loi de finances 2024 allant aussi dans ce sens. Déposé par deux députés de la majorité et un des Républicains, il visait à orienter une partie de l’encours du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) vers le financement d’entreprises de l’armement.
Retoqué une première fois par le Conseil constitutionnel
La messe alors semblait dite : une partie des 564,9 milliards d’euros d’encours de ces deux livrets allait être davantage fléchée vers des entreprises de défense. Pour rappel, 40 % de l’épargne de ces produits sont réinjectés par les banques dans le développement ou la création de PME. Mais jusque-là, celles de l’armement n’en bénéficiaient pas ou peu. L’amendement des trois députés se voulait surtout une vive incitation pour que les banques les financent davantage avec cet argent.
Mais ce projet est tombé à l’eau à la fin du mois de décembre. Dans son examen du projet de loi de finances, le Conseil constitutionnel a retoqué plusieurs mesures, parmi lesquelles celle-ci. Motif : il s’agissait d’un cavalier législatif. Les Sages ont estimé qu’une telle disposition n’avait pas sa place dans une loi de finances, sans exclure pour autant l’adoption d’une telle mesure dans un autre texte. Mais pour cela, il ne fallait pas compter sur le gouvernement.
Le gouvernement et les socialistes favorables à un produit d’épargne dédié
Ce dernier, à l’image du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, s’est montré plutôt réticent à ce que l’épargne du Livret A et du LDDS finance l’armée. « Le Livret A, pour moi, c’est le logement social et ça doit le rester », avait-il affirmé en novembre 2023. La majorité des fonds collectés sur les Livrets A et LDDS (60 %) est effectivement utilisée par la Caisse des dépôts. Cette dernière finance notamment le logement social avec le premier, et des projets verts comme des rénovations énergétiques avec le second.
Plutôt qu’un fléchage des fonds de ces livrets, Bruno Le Maire préférerait la création d’un nouveau produit d’épargne consacré à la défense. Il l’évoquait en novembre, et à nouveau ce mercredi 6 mars dans son interview au Monde , mais sous une forme particulière : « Je veux mettre en place un produit d’épargne européen pour bâtir un marché européen de capitaux qui nous permettra de financer les grands projets sur la transition climatique, l’IA ou la défense », affirme le ministre de l’Économie.
Une idée plus ou moins similaire a été défendue au Sénat, par l’élu socialiste du Val-d’Oise Rachid Temal. Ce dernier a déposé le 20 février dernier une proposition de loi visant la création d’un « Livret d’épargne défense souveraineté » (LEDS) qui aurait servi exclusivement au financement de l’armée. Un projet tué dans l’œuf, puisque le Sénat l’a d’ores et déjà rejeté.
Une mesure « urgente » au vu du contexte ukrainien
En revanche, il a donc validé celui du sénateur Les Républicains Pascal Allizard. Ce dernier avait déposé une proposition relativement similaire à l’amendement de ses collègues députés. Le texte, approuvé par 244 voix contre 34, prévoit donc d’affecter une partie des ressources collectées au titre du livret A et du livret de développement durable et solidaire vers les entreprises, notamment petites et moyennes, de l’industrie de défense française.
Plusieurs élus favorables à cette mesure ont insisté sur son « urgence » imposée par le contexte ukrainien. « C’est une solution efficace à court terme pour accélérer le passage à une véritable économie de guerre », a plaidé Vanina Paoli-Gagin du groupe Les Indépendants, de centre-droit. La droite sénatoriale espère donc la voir enfin aboutir dans ce texte dédié, même s’il faudra pour cela que l’Assemblée nationale s’en saisisse. Une proposition de loi quasiment identique y sera d’ailleurs soutenue le 14 mars par les députés du groupe Horizons. Cette affaire risque donc de durer encore, surtout compte tenu de la réticence du gouvernement. Mais les parlementaires ne désarment pas.