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Soudan : Le 54e État africain est-il viable ?

Leon camus

dimanche 24 juillet 2011

Samedi 9 juillet, l’indépendance du Sud Soudan est déclarée en sa nouvelle capitale, Juba. Cela en présence du président nordiste Omar El Béchir, ci-devant poursuivi par le Tribunal pénal international pour génocide et crimes contre l’humanité dans la glauque affaire du Darfour [1]. En présence également d’un certains nombre de représentants occidentaux parmi lesquels l’ineffable M. Juppé et la sémillante Lady Ashton. Ont-ils tourné le dos à El Béchir ? Les caméras n’ont hélas pas fixé cet inoubliable épisode de contorsion diplomatique ! Il est vrai que le 2 juillet à l’occasion du treizième sommet de l’Union africaine une quinzaine de chefs d’État avaient fièrement décidé de ne pas « coopérer avec la CPI dans le dossier El Béchir ». Celui-ci n’avait-il d’ailleurs pas été reçu en grande pompe à Pékin en juin par son homologue Hu Jintao lors d’une visite d’État ? Ce qui en dit long sur le peu de crédibilité de la prétendue Justice internationale promue par les pays du Nord et dont les magistrats, le plus souvent juges et parties, sont essentiellement payés pour appliquer un droit à géométrie variable.

Le dernier né des États africains, le Sud Soudan n’est cependant pas né coiffé, il est né « enclavé », c’est-à-dire sans accès à la mer… une bénédiction par les temps qui courent ! Et né sous les meilleures auspices : le 19 décembre 2010, en visite à Khartoum le président égyptien Hosni Moubarak et le Guide de la Jamahiriya libyenne, Mouammar Kadhafi – deux personnalités dont on connaît les difficultés actuelles - formaient conjointement le vœu qu’à l’issue du référendum prévu au Sud Soudan quelque semaines plus tard, que se maintiendrait « un environnement paisible, calme, transparent et crédible » appelé « à refléter la volonté des Sud Soudanais » ! Volonté qui s’exprimera le 2 février 2011 par 98,77% suffrages en faveur de la partition : le Soudan perd alors presque un quart de sa population [2].

Mais déjà les ombres s’accumulent au-dessus du nouvel État : le Conseil de sécurité votait la veille de sa proclamation d’indépendance, la création d’une Mission spécifique des Nations Unie pour le Sud Soudan, la MINUSS, laquelle s’est vue dotée de 7000 soldats auxquels vient s’ajouter le récent déploiement de 4200 Casques bleus à Abyei et de quelques 000 hommes devant être chargés de la garde des frontières entre le Sud et le Nord. Des chiffres éloquents quant à l’instabilité politique et militaire de la nouvelle entité qui en janvier voyait s’affronter des rebelles sudistes et l’Armée de Libération du Soudan - SPLA - alors qu’intervenait des raids de milices nordistes contre des villages Dinka sur le territoire d’Abyei… Qui ne sait pas que la composition ethnique du Sud constitue un mélange hautement instable et que des guerres fratricides entre pasteurs Nuers, Dinkas et Shiluks sont de l’ordre du probable ? D’autant que Khartoum mène une guerre sourde au Sud, lequel dépend étroitement du Nord pour ses approvisionnements : au mois de mai, les prix des biens de consommation ont presque doublé au Sud Soudan en raison des rétentions et des freins établis par Khartoum, créant un climat assez peu favorable à l’harmonie entre Nordistes et Sudistes comme entre communautés ethniques [3].

Au reste la MINUSS comptera – et c’est là une innovation en la matière - 900 civils et experts appelés à participer à la « reconstruction » du Sud. En vérité il s’agira de « construire » quasiment ex nihilo, et non de reconstruire, une économie qui n’a jamais existée* [4]… et qui ne parvient pas à décoller depuis la signature des accords de paix de janvier 2005 et ce, malgré les 7 milliards de manne pétrolière de $ tombés dans son escarcelle.

Une économie d’ailleurs a priori largement plombée par les dépeceurs opportuniste qui se sont jetés sur la seconde richesse du Sud Soudan (après le pétrole), ses terres arables. Ainsi l’Ong Norwegian People’s Aid s’alarme-t-elle que depuis 2007, 9% de la superficie totale du nouvel État aient déjà été cédés à des investisseurs étrangers, Indiens, Canadiens ou Anglo-ougandais, soit 5,74 millions d’Hectares ! Une entreprise texane, la société Nile Trading and Development Incorporated, aurait ainsi acquis 600 000 Hectares pour 25 000 dollars - 17 500 € - ce qui établit le prix de l’hectare 3 centimes d’Euro. Un bail emphytéotique de 49 ans assorti d’une option pour 400 000 hectares supplémentaires et, selon l’Oakland Institute, du droit exclusif d’exploitation de « toutes » les ressources naturelles… le propos de cette société n’étant pas de toute évidence l’exploitation directe mais la spéculation par la sous-location des terres et la revente de droits sur des lots.

Avec des réserves de 6,7 milliards de barils de pétrole le pétrole est et sera bien entendu la clef du développement du Sud… et de la prospérité Nord où il est raffiné et exporté via Port-Soudan sur l’Océan Indien. Une épineuse question qui oppose les intérêts asiatiques et occidentaux, question qui ne sera pas évoquée ici. Sachant seulement que, comme dans tout divorce, fût-il à l’amiable, Nord et Sud devront se répartir les bénéfices mais aussi les dettes. Ces dernières se montent aujourd’hui à 40 milliards de $ et nul ne sait vraiment qui au final réglera la note ? Beaucoup d’incertitudes donc pour un État créé quelque peu artificiellement par la volonté commune et persévérante, au bout de plusieurs décennies d’âpres combats et de millions de morts et de déplacés, des Anglais et des Américains (mais aussi des Israéliens tireurs de ficelles dans la coulisse) [5]… L’on ne peut aujourd’hui, dans cette conjoncture, qu’attendre afin de juger l’arbre à ses fruits !

Le pronostic vital du Sud Soudan [6] n’est en fait pas véritablement encourageant vu l’impéritie de la classe dirigeante dont il s’est doté… aussi sa viabilité reste-t-elle soumise à de nombreuses conditionnalités qui n’incite pas à faire preuve d’enthousiasme débridé. L’expérience et l’âge inclineraient plutôt au pessimisme, reste que la Chine veille dont la gestion des intérêts pétroliers va prochainement quitter Khartoum pour être transférés à Juba…

Notes

[1« Darfour, de La crise Humanitaire au choc pétrolier ». Jean-Michel Vernochet. Éditions de l’Infini 2009 - http://www.editions-infini.fr/

[2Un recensement national donnait en mai 2009 : 39,1 millions d’habitants au Nord Soudan, 8,2 millions au Sud. 520 000 Sudistes résident encore actuellement au Nord. Le territoire du Sud représente environ 24% de l’ancien Soudan et 20% de la population totale soudanaise, soit 8.5 millions d’individus.

[3Depuis janvier 2011, les affrontements inter-ethniques ont causé près de 2 400 décès.

[4Au 1er mai le prix d’un sac de sorgho était de 180 livres soudanaises, contre 300 livres, quatre semaines plus tard. Un sac de sucre 140 livres contre 200 livres ; un sac de maïs 25 livres contre 70 livres, et 20 litres d’essence, 46 livres contre 120 livres.

[5Khartoum a par ailleurs demandé aux Nations unies de retirer leurs casques bleus du Soudan. Au nombre de 10 000 hommes de la MINUS (avant partition), créée en mars 2005 par la résolution 1590, coûte 100 000 dollars par an et par personnel.

[6En 2005 le Sud Soudan ne comptait que 3 km de route goudronnée. En 2010, Juba, la future capitale du Sud, en compte à elle seule déjà 43 km.

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