Plus précisément, un canon automoteur est un véhicule équipé de roues ou de chenilles qui peut embarquer un obusier, ce qui en fait une pièce d’artillerie bien plus mobile que les systèmes d’artillerie classique qu’il faut tracter ou installer sur le sol. En effet, les obusiers tractés sont non seulement moins efficaces, mais aussi beaucoup moins résistants lorsqu’ils sont exposés à des tirs de riposte. Côté offensif, le 2S43 Malva est doté d’un canon rayé long de sept mètres tirant des obus de 152 millimètres. Ce sont des munitions un peu moins puissantes que celle du Caesar français qui peut envoyer des obus de 155 millimètres.
Le Malva a une portée de tir de 24,5 kilomètres et une cadence de tir allant jusqu’à 7 coups par minute. Piloté par un équipage de 5 personnes, il peut transporter un total de 30 munitions. Les dimensions du véhicule sont de 13 mètres de long, 2,75 mètres de large et 3,1 mètres de haut, pour un poids total de 32 tonnes.
Malva et Floks. Le retour en grâce de l’artillerie sur roues en Russie ?
Dans le cadre du programme de recherche et développement Nabrosok (1) lancé dans le courant de la décennie 2010 et attribué à l’institut central de recherches TsNII Burevestnik (2) (spécialisé dans le développement de canons terrestres et navals ainsi que de systèmes d’artillerie), la Russie achève actuellement les tests (3) sur une série de véhicules dont l’objectif premier est d’améliorer de manière significative la mobilité de son artillerie.
L’artillerie automotrice russe repose actuellement et très majoritairement sur des châssis chenillés, ceci étant la résultante de la doctrine en vigueur à l’époque soviétique : l’artillerie devant être en mesure de suivre les chars de bataille sur les terrains les plus difficiles, l’emploi de la chenille s’imposait donc. Cependant, dans le courant des années 1980, les décideurs soviétiques, souhaitant accroître significativement le rayon d’action de leur artillerie, développèrent une version sur roues de leur nouvel obusier 2S19 Msta‑S : le 2S21 Msta‑K dont plusieurs prototypes furent produits dès 1982 avant que le projet ne soit abandonné en 1987 en raison de difficultés techniques (ainsi que de la raréfaction des moyens disponibles).
L’idée de développer une nouvelle gamme d’artillerie plus mobile ne va pas être oubliée pour autant avec la fin de l’URSS, mais il faudra attendre de longues années pour assister au lancement du projet Nabrosok : ce dernier comprend plusieurs véhicules (4) (obusiers, mortiers, lance-roquettes lourds) montés sur châssis à roues, exception faite du « Magnolia » qui, amené à être exploité en zone polaire, est installé sur chenilles. Les travaux en sont actuellement à un stade avancé de concrétisation puisque les véhicules le composant sont soit en train d’entrer en service au sein des forces terrestres (VS) ainsi que des troupes aéroportées (VDV) russes, soit au stade des essais avancés. Deux véhicules issus de ce programme méritent que l’on s’y attarde : le 2S43 Malva ainsi que le 2S40 Floks.
Repris sous le nom de Malva (5) (la Russie a pour tradition d’attribuer à ses systèmes d’artillerie des noms de fleurs ou de plantes) et conçu pour prendre la relève des 2S1 Gvozdika ainsi que des canons tractés 2A65 Msta‑B des forces terrestres russes, le 2S43 est un obusier automoteur qui a été dévoilé en octobre 2019 et se présente comme un lointain successeur du projet mort-né 2S21 Msta‑K. Il est construit sur un châssis 8 × 8 BAZ‑6010‑27 disposant d’une cabine blindée pouvant accueillir cinq membres d’équipage, et l’armement est composé d’un canon 2A64 (6) de 152,4 mm et 47 calibres alimenté par une dotation de 30 obus avec une capacité de tir de 7 obus/minute. Le canon bénéficie d’une élévation allant de − 3° à + 70° ainsi que d’un débattement horizontal de +/− 30, sa portée de tir maximale étant de 24,5 km. L’ensemble présente une masse totale en charge de 32 t (7), une vitesse maximale de 80 km/h (sur route) et une autonomie évaluée à 1 000 km. Avec une longueur de 13 m, une largeur de 2,75 m et une hauteur de 3,1 m, le 2S43 présente un avantage important par rapport à ses prédécesseurs chenillés : il est aérotransportable dans un Il‑76, ceci facilitant grandement la capacité de déploiement de ce véhicule.
Néanmoins, le Malva n’est pas exempt de défauts : avec une portée maximale du canon de 24,5 km (pouvant éventuellement être accrue à 29 km avec certains modèles d’obus), il est donc bien en deçà des performances du CAESAR français qui peut frapper jusqu’à 50 km. En outre, le canon n’étant pas monté sur tourelle, son équipage est exposé aux tirs d’armes légères lorsque le Malva est en position de tir. On est donc en droit de se poser la question de l’intérêt présenté par ce modèle pour l’armée russe par rapport au 2S35‑1 Koalitsiya‑Sv‑KSh qui n’est rien d’autre qu’une version sur châssis à roues 8 × 8 du 2S35 Koalitsiya‑SV : ce véhicule dispose du canon 2A88 de 152,4 mm monté sur une tourelle (inhabitée) (8) et qui est en mesure de frapper jusqu’à des distances maximales de 80 km (9) avec une cadence de tir plus élevée, soit au minimum 10 obus/minute. À l’inverse, le devis de masse du Koalitsiya‑SV‑KSh est plus important que celui du Malva.
Autre véhicule s’inscrivant dans le programme Nabrosok, le 2S40 Floks (10) est une artillerie automotrice remplissant soit le rôle d’obusier soit celui de mortier installé sur un châssis 6 × 6 Ural‑4320 comportant une cabine blindée (offrant une protection contre les munitions de 7,62 mm) d’une capacité de quatre personnes. L’armement est composé d’un canon 2A80 de 120 mm approvisionné par une dotation composée de 80 obus avec une cadence de tir allant de 8 à 10 tirs/minute. Le tube dispose d’une élévation allant de − 5° à + 80° tandis que le débattement horizontal est de +/− 35° ; l’ensemble offre une portée de tir maximale allant de 7,5 à 13,5 km (variant selon la munition employée). La protection rapprochée de l’équipage est assurée par un module Kord installé sur le toit de la cabine de conduite et équipé d’une mitrailleuse de 12,7 mm, complété par des lanceurs de grenades fumigènes. La masse totale du véhicule est de 20 t, tandis que sa vitesse de pointe est de 80 km/h (sur route) ; la distance franchissable par ce dernier est actuellement inconnue.
Le gros avantage qu’apporte le 2S40 Floks, outre sa maniabilité, sa protection accrue (par rapport aux canons tractés) et sa rapidité de déploiement, réside dans sa dotation en munitions : avec 80 obus à disposition, il est capable de traiter rapidement une cible et de se redéployer pour en traiter une autre sans nécessiter d’être suivi par un train logistique imposant pour le réalimenter.
L’achèvement des travaux du programme Nabrosok avec la fin en vue des essais étatiques des différents modèles concernés permet de voir la concrétisation de longues années de réflexion ainsi que l’aboutissement d’un changement doctrinal dans les conceptions russes. Sans pour autant faire table rase du châssis chenillé pour leur artillerie, les forces armées russes viennent compléter leur dispositif composé de plates-formes « lourdes » chenillées (2S19M2 Msta‑S et 2S35 Koalitsiya‑SV) par des véhicules sur châssis à roues permettant à la fois un gain de mobilité important (usage des routes qui accroît la distance franchissable), une simplification de la logistique nécessaire pour leur déploiement (plus besoin de portes-chars pour les longs trajets, facilité d’embarquement dans les avions de transport, entretien plus aisé) et des temps de réaction réduits permettant de limiter l’impact d’un tir de contre-batterie.
En outre, autre avantage intéressant, ces nouveaux véhicules sont moins onéreux à l’achat et moins complexes à déployer par des armées moyennes et disposent donc d’un potentiel à l’export plus important que leurs équivalents chenillés. Les récents succès des plates-formes sur roues telles que le CAESAR (France), le Nora B‑52 (Serbie), l’Atmos 2000 (Israël) et le SpGH Dana (République tchèque) sur le marché de l’exportation donnent des idées aux industriels russes qui espèrent ainsi grappiller des parts de marché, notamment avec le 2S43 Malva ; avec un bémol, le canon employé par le 2S43 n’est pas de première jeunesse et ses performances sont en deçà de celles offertes par ses concurrents occidentaux.
Sans pouvoir augurer du futur succès (ou non) à l’export de ces nouveaux véhicules, il apparaît évident qu’ils sont représentatifs d’une armée russe dont la doctrine ainsi que les tactiques évoluent avec l’intégration d’unités plus mobiles et facilement déployables qui viendront accueillir les véhicules d’artillerie existants ; pour autant, il n’y a pas d’abandon prévu des options chenillées (dont le développement se poursuit également), l’armée de terre préférant panacher les options à disposition avec un mélange chenilles/roues tandis que les troupes aéroportées travaillent sur la base de véhicules à roues, pour d’évidentes raisons de facilité de déploiement. Il reste maintenant à voir si les ambitions affichées par l’armée russe d’un point de vue capacitaire (remplacement des canons tractés par des plates-formes à roues) ainsi que qualitatif (mobilité et facilité de déploiement accrues) seront en phase avec les ressources budgétaires du pays.
Notes
(1) Nabrosok (Набросок) : litt. « Esquisse ».
(2) https://www.burevestnik.com. Ce dernier fait partie d’UralVagonZavod, intégré au groupe Rostec.
(3) https://tass.com/defense/1117165
(4) Les véhicules concernés par ce programme sont les 2S40 Floks, 2S41 Drok, Magnolia, 2S43 Malva et TOS‑2 Tososchka.
(5) Malva (Мальва) : litt. « Mauve », plante de la famille des Malvacées.
(6) Le 2A64 est le même canon que celui employé par la famille Msta(‑S/‑B).
(7) À titre de comparaison, un 2S19 Msta‑S déplace 42 t de masse totale.
(8) L’emploi d’une tourelle présente l’avantage de ne pas devoir déplacer le véhicule pour traiter une autre cible proche.
(9) Obus avec propulsion additionnelle.
(10) Floks (Флокс) : litt. « Phlox », plante herbacée de la famille des Polémionacées.