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Guerre Chine-Etats-Unis : les confidences alarmantes d’un ancien du Pentagone

samedi 9 octobre 2021

Nicolas Chaillan a occupé une position unique au département américain de la Défense. Son obsession : éviter que les Etats-Unis ne perdent la guerre contre la Chine. Il est convaincu que l’affrontement avec la Chine se jouera dans deux domaines : l’intelligence artificielle et les cyberattaques.

NB :
Macron a tenté de singer le parti démocrate et la Big Tech américaine avec sa French Tech qui s’avère être un échec total, sauf pour les investisseurs étrangers qui ne paient pas d’impôts dans la création de Start Up.
La fuite des talents de notre pays nous conforte dans l’idée que la France est vassalisée et à reçu l’ordre de ne pas concurrencer l’Oncle Sam.

Nicolas Chaillan est convaincu qu’à moins d’un sursaut, les Etats-Unis ont d’ores et déjà perdu la guerre contre la Chine. Il a acquis cette conviction lors de ses trois années passées au Pentagone. Son poste d’observation était exceptionnel : d’abord comme conseiller du secrétaire à la Défense sur les questions de cybersécurité, puis comme responsable de l’ensemble des logiciels de l’US Air Force et l’US Space Force. Une double première : jamais un Français n’avait occupé de telles fonctions dans l’armée américaine, et le poste lui-même de Chief Software Officer était une nouveauté. Il l’occupera jusqu’en octobre 2021.

Au cours de deux longues conversations, il a raconté à L’Express son étrange parcours dans les dédales de l’administration américaine, sa stupéfaction devant les dysfonctionnements de cette insondable machine et les conclusions plutôt sombres qu’il tire sur la capacité des Etats-Unis à affronter la Chine.

Sa motivation patriotique remonte à la vague d’attaques terroristes qui a frappé la France en 2015, époque aussi marquée par l’apogée de l’Etat Islamique en Syrie et en Irak. Si la menace de l’EI l’effraye, la France l’exaspère. Ses contraintes administratives et fiscales sont insupportables pour l’entrepreneur compulsif qu’il est - il a créé une demi-douzaine de sociétés de tech, allant du gaming aux services de paiement, avant se spécialiser dans la cybersécurité ; il a aussi lancé un fonds d’investissement spécialisé dans l’acquisition de propriété intellectuelle.

Un patriote d’adoption

En 2015, Chaillan déménage donc à New York, avec la volonté « d’aider » comme il dit, autrement dit de participer à la lutte contre le terrorisme international. L’endroit le plus naturel pour un citoyen de fraîche date - il obtient son passeport américain en août 2016 -, également spécialiste renommé en cyberprotection, est de rejoindre le ministère américain de l’Intérieur.

Au Department of Homeland Security (DHS), il a la charge d’évaluer la vulnérabilité des infrastructures critiques. Ce qu’il découvre le consterne : « Le niveau de protection contre les cyberattaques est proche de zéro, juge-t-il rétrospectivement. D’abord les Etats-Unis comptent 600 ou 700 entreprises de service assurant la distribution d’électricité ou de l’eau ; elles sont impossibles à auditer, le DHS n’ayant de toute façon pas les compétences techniques. Il est surtout spécialisé dans la conformité, la paperasse en tous genres, il dresse des check-lists à l’infini... » Pour lui, les centaines de utility companies qui assurent les services essentiels aux Etats-Unis sont des cibles rêvées pour la cyber-armée chinoise. « Je suis persuadé que des malwares [logiciels malveillants] chinois sont d’ores et déjà implantés dans le système de distribution électrique et que les Chinois peuvent appuyer sur le bouton quand ils veulent pour tout faire planter. »

Cette certitude le conduit à accepter un poste où, estime-t-il, il aura plus de latitude d’action. Ce sera donc le Pentagone, avec un premier poste de conseiller spécial auprès du secrétaire à la Défense, puis de responsable des logiciels de l’Air Force.
Immersion dans les arcanes du Pentagone

En août 2018, à 34 ans, ce Marseillais d’origine, entrepreneur multirécidiviste, est appelé au Pentagone à une fonction civile lui conférant un grade équivalent à celui d’un général dans la hiérarchie militaire. Il bénéficie de l’habilitation la plus élevée dans l’administration américaine. L’estampille SAP (Special Access Program) lui donne accès aux données et programmes les plus confidentiels couvrant les opérations aériennes, spatiales et même les armes nucléaires.

Sa tâche est immense. L’armée américaine compte 100 000 développeurs informatiques, ce qui en fait de loin la plus grande entreprise technologique au monde (par comparaison, Google emploie 27 000 ingénieurs logiciels). Il supervise un budget de 60 milliards de dollars, plus que la totalité des dépenses militaires françaises.

En débarquant au Pentagone, ce que découvre Chaillan lui fait horreur : une gabegie budgétaire insensée, des rivalités entre les différentes armes (Air Force, Armée de Terre, Navy, corps des Marines...) qui font que le département de la Defense (Dod) gère par exemple 26 clouds informatiques différents. Il prend aussi conscience des relations incestueuses entre le Pentagone et les grands acteurs du complexe militaro-industriel, qui ont débouché sur des choix techniques insensés. Chaillan s’y attaque brique par brique. L’un des travaux qu’il consent à évoquer porte sur deux vastes programmes d’avions de combat. Pour développer le chasseur F-22, et l’avion polyvalent F-35 — à lui seul un programme à 1000 milliards de dollars, le plus cher de l’histoire —, l’Air Force a sélectionné le même constructeur historique : Lockheed Martin Corporation. Or les appareils ont beau sortir des mêmes bureaux d’études, ses concepteurs se sont ingéniés à minimiser les compatibilités logicielles, histoire de garantir un passage à la caisse aussi généreux que fréquent : « Imaginez que ces deux avions ne peuvent pas échanger de données entre eux, s’insurge-t-il. Si l’un repère une cible, il ne peut même pas transmettre les coordonnées à l’autre ! »

Lorsque Chaillan et son équipe plongent dans les 25 millions de lignes de code du F-35 — dix fois plus que pour un avion commercial —, ils découvrent que les 4000 développeurs informatiques de Lockheed Martin accusent 50% de taux d’erreurs dans leur code et que seulement 4% de l’informatique du F-35 est partagée avec celle du chasseur F-22. « Pour vous donner une idée, chez SpaceX, 80% du logiciel est réutilisé d’un modèle de fusée à l’autre et ils ont 200 développeurs. Autrement dit, les contribuables américains ont littéralement payé deux fois pour la même chose ».

Autre exemple révélateur : ces avions n’ont même pas de « double numérique » (digital twin), pourtant un classique dans l’aéronautique moderne, qui permet de tester des innovations sur un avion virtuel avant de les déployer. Pourquoi les avionneurs de l’Air Force s’embarrasseraient-ils de ces pratiques puisqu’ils gagnent tellement d’argent en le faisant à l’ancienne ? « Ils travaillent comme il y a vingt, trente ans », juge-t-il.

Chaillan entreprend de moderniser ce qui peut l’être. Avec son équipe, il crée ce qu’on appelle des containers informatiques qui permettent d’isoler des éléments de logiciels pour faciliter les modifications de code informatique. Là encore, une pratique courante dans l’industrie du logiciel, mais inédite au Pentagone. C’est ainsi qu’il modernise le mythique avion-espion U2 en lui ajoutant des capacités nouvelles. La méthode a permis à cet avion, dont la conception remonte à 1955, de communiquer directement avec des satellites militaires et d’embarquer des modules d’intelligence artificielle pouvant être mis à jour à distance, exactement à la façon d’une Tesla. Avec SpaceX, les entreprises d’Elon Musk sont d’ailleurs la référence industrielle et culturelle pour Nicolas Chaillan. Leur rapidité d’exécution, leur agilité autant que leur gestion au cordeau sont l’antithèse de l’armée : « Au DoD, les ratios sont terribles : pour acheter un dollar de marchandise, on perd déjà 60 cents dans le processus d’acquisition ; puis, on achète en général pour 20 cents de matériel inadapté ; enfin, entre ce qui ne fonctionne pas et ce qui est en retard, on doit être sur 5 ou 10 cents de retour sur investissement sur chaque dollar dépensé. Chez SpaceX, la proportion est inverse ! »

La prochaine guerre contre la Chine

Chaillan est convaincu que l’affrontement avec la Chine se jouera dans deux domaines : l’intelligence artificielle et les cyberattaques. Pour lui, la Chine a d’ores et déjà un avantage considérable dont elle tirera tôt ou tard profit, d’abord en attaquant Taiwan dans les trois ans qui viennent, estime-t-il.

C’est en accédant au plus haut niveau de la machine du renseignement américain que Nicolas Chaillan s’est forgé cette certitude. « Tous les wargames que nous avons effectués au Pentagone auxquels j’ai pu assister se sont soldés par une défaite complète des Etats-Unis. On est battus dans tous les cas de figure. Pour commencer, nous perdons toutes nos communications en vingt-quatre heures. » Il ajoute : « Je pense que l’armée chinoise n’ira même pas jusque-là : en cas de guerre, elle commencera par anéantir une grande partie du réseau électrique des Etats-Unis ; rétablir le courant dans le pays sera tellement prioritaire qu’on pensera à autre chose qu’à défendre Taïwan... »

Dans son français truffé d’anglicismes et teinté de l’accent marseillais de son enfance, Chaillan n’a de cesse de dénoncer l’obsolescence de la doctrine américaine prise entre un état-major qui veut les mêmes armes que par le passé mais en plus grand et plus cher, et un réseau de prestataires soucieux de préserver une rente fabuleuse. « Les militaires veulent encore des tanks et des navires qui ne servent à rien, là où il faut des armes agiles comme des essaims de drones pilotés par de l’intelligence artificielle. » Comme d’autres experts militaires, Chaillan est certain que la prochaine guerre sera largement asymétrique avec, côté chinois, des armes légères, autonomes et produites en masse, capables d’envoyer par le fond un porte-avions et tout son équipement à coup d’attaques dites « saturantes ». Sans même compter les bases spatiales et les missiles hypersoniques : « La Chine en a construit 200 et nous 10 ! »

Google noyauté par les intérêts chinois

L’une des raisons de la vitalité de l’appareil militaire chinois, explique-t-il, tient dans la subordination du secteur privé aux objectifs du parti communiste chinois. Rien de tout cela aux Etats-Unis, s’agace-t-il, où l’accès aux secteurs d’excellence de la tech américaine est de facto interdit aux militaires. Et cela rend fou Nicolas Chaillan. Ce n’est pas faute d’avoir sillonné les campus, les centres de recherche, rencontré les représentants de la Big Tech, souvent accompagné d’une discrète escorte militaire tant il est accueilli fraîchement : « Les gens refusent de vous saluer, en vous disant, ’vous avez du sang sur les mains, vos armes tuent des enfants’. Ce qui est insensé, c’est que ce sont les mêmes gamins gâtés qui bénéficient de la liberté gagnée par le sacrifice des militaires, et qui vivent aujourd’hui dans leur petite bulle merveilleuse de la Silicon Valley. Ils refusent de travailler pour le DoD, mais ils ferment les yeux quand ce sont leurs employeurs qui investissent en Chine. »

L’un de ses grands sujets d’exaspération est l’abandon du programme Maven, qui avait été entrepris par le Pentagone avec Google, et qui portait sur de l’analyse d’images satellites au moyen d’algorithmes d’intelligence artificielle. Des ingénieurs de Google ayant estimé que le système pouvait servir à améliorer le ciblage des drones d’attaques, ils ont organisé une contestation interne qui a débouché sur l’abandon du projet. Derrière le refus de Google de travailler avec le Pentagone se profile l’ombre de l’espionnage chinois, affirme Nicolas Chaillan : « Après une enquête interne, on s’est rendu compte qu’une partie des cadres de Google ayant poussé à l’abandon du projet étaient des Américains nés en Chine. Autrement dit, y compris dans le leadership de l’entreprise, vous avez des gens affiliés au gouvernement chinois pour faire en sorte que Google ne travaille pas avec le DoD. » Selon l’ancien chief software officer, dans la mesure où les ingénieurs de Google américains nés en Chine n’auraient jamais eu les habilitations nécessaires pour accéder au programme, il était par conséquent plus utile pour Pékin de faire en sorte que Google ne travaille pas pour l’armée. « La conséquence est que le Pentagone a pris cinq ans de retard sur ces technologies. »

Cette « cinquième colonne » chinoise commencerait d’après Chaillan dans les universités pour se poursuivre dans les entreprises afin de créer une génération antimilitariste. Entre cela et le décrochage de la technologie militaire américaine, Nicolas Chaillan n’a eu de cesse de partager ses inquiétudes avec le public. Il a été invité à témoigner devant le Congrès américain, mais à huis clos en raison du caractère sensible du sujet. « J’ai refusé des auditions privées, car on a tendance à trop classifier des informations dans ce pays. Beaucoup de choses méritent d’être portées à la connaissance de la population... » Il s’est donc borné à faire des briefings individuels à quelques parlementaires. Ses seules apparitions dans la presse ont été - hors Fox News dont il est un habitué - pour le Financial Times au moment de son départ.

Prochaine étape : le retour

« A 38 ans, je suis trop jeune pour prendre ma retraite, même si je n’ai pas vraiment besoin de travailler », dit-il. Alors, en attendant son heure, il s’occupe : une chaîne YouTube sur les arcanes de la cybersécurité, des missions de consulting pour le DoD et quelques entreprises privées, beaucoup de travail pro bono, précise-t-il. A sa sortie du Pentagone fin 2021, il a reçu 250 sollicitations pour rejoindre des conseils d’administrations, il n’en a accepté que neuf.

Le but avoué de Nicolas Chaillan est évidemment de revenir au Pentagone. Il affirme avoir eu des propositions précises du camp républicain. Il ne veut plus entendre parler des démocrates et de leur soumission au wokisme. Trump, il le jugeait « toxique » avant même les récents développements judiciaires de l’été. Son homme à lui est le gouverneur de Floride Ron DeSantis, 43 ans, idole de la droite dure et décrit à Washington comme un « Donald Trump avec un cerveau ». Interrogé sur les promesses de l’équipe DeSantis, Chaillan finit par livrer une description de fonction ressemblant fort au poste de secrétaire adjoint à la Défense — « un titulaire nommé par le président, confirmé par le Congrès ». D’une façon ou d’une autre, il sera dans les bagages d’une prochaine administration républicaine, avec les moyens de ses ambitions réformatrices pour le Pentagone. Car sa mission pour sauver l’Amérique, il entend la continuer : « Je veux pouvoir me regarder dans la glace et pouvoir dire à mes enfants que j’ai fait tout ce que je pouvais pour que leur pays gagne contre la Chine dans les vingt ans à venir. »

L’Express

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