.
L’essor préoccupant de la dette publique hors-bilan
La pandémie va encore alourdir le poids de la dette hors-bilan qui regroupe les engagements financiers de l’Etat. L’économiste Jean-Yves Archer, qui tient cette semaine la plume de la Société d’Economie Politique pointe les dangers d’une telle dérive.
L’ampleur de l’impact de la crise de la Covid-19 sur notre économie et sur la trajectoire de nos finances publiques a, paradoxalement, familiarisé des millions de nos concitoyens avec le montant de la dette nationale. Bien sûr, tout le monde n’est pas en mesure de citer le chiffre exact mais l’opinion publique sait que la dette s’inscrit au-delà de 100% du PIB (118,2% précisément à la fin du premier trimestre 2021) et qu’elle s’approche des 3.000 milliards d’€ (2739,2 milliards).
La crise sanitaire a fourni une dynamique de la dette qui est qualifiée d’explicite car dûment intégrée à nos comptes publics et auscultée par le Parlement ainsi que par la Cour des comptes. Il en va tout autrement de la dette hors-bilan qui est loin de tout contrôle et qui regroupe les engagements financiers de l’État. Prenons un exemple récent. L’État, pour éviter un naufrage économique, a épaulé les entreprises notamment via le mécanisme des PGE (prêts garantis par l’État pour un montant total de 140 milliards d’€), dont il est le garant en dernier ressort en cas de défaillances du débiteur. Soit une garantie à 90%, qui peut représenter un volume d’engagements de plusieurs milliards d’€ en cas d’exercice de cette garantie qui deviendrait alors une dépense publique pure et simple sans recette en face, donc une nouvelle dette. Cela peut s’apparenter à la caution que des parents apportent fréquemment au bailleur de leur enfant. Normalement, elle ne doit pas être activée mais en cas de souci, elle l’est et les ascendants payent.
Aucun débat formel sur cette dette
Cette garantie, dont nul ne sait à ce jour comment elle évoluera, est inscrite dans le hors-bilan. Un ensemble de postes dont « le volume a été multiplié par trois ces quinze dernières années » selon le Sénat. En 2020, le total de la dette hors-bilan de la France est de plus de 4.000 milliards d’€ soit 145% de la dette de Maastricht. Un rapport parlementaire documenté (https://www.senat.fr/rap/l19-140-31... ), datant du 21 novembre 2019, de la sénatrice de l’Orne Nathalie Goulet (alors rapporteure spéciale pour la Commission des Finances), détaille le caractère franchement préoccupant de l’évolution quantifiée de cette dette implicite, voire masquée, dans la mesure où elle ne fait l’objet d’aucun débat formel devant les deux Assemblées ni-même devant le Conseil économique social et environnemental (Cese).
Cela étant dit, le hors-bilan peut être légitime et intègre. Sur les 4.070 millliards d’€ de cette dette, il convient de relever une convention comptable. A l’opposé du secteur privé, l’État employeur ne provisionne pas au fur et à mesure les droits à la retraite de ses agents. Ce que conteste régulièrement l’OCDE. Dès lors, les engagements pris par l’État pour honorer le paiement futur des pensions des fonctionnaires s’élèvent à 2.200 milliards, soit plus de la moitié du hors-bilan global.
Le hiatus porte donc sur l’autre versant de la pyramide où le clair-obscur s’insinue. Un exemple douloureux datant des années 90 s’avère fort illustratif : les conditions du sauvetage de la banque Dexia (dédiée aux collectivités locales). Cet établissement financier dispensateur d’emprunts dits toxiques a frôlé la cessation des paiements et il a alors fallu que l’État cautionne les emprunts de refinancement de Dexia. En sa qualité de président de la Commission des finances du Sénat, Philippe Marini avait alors considéré qu’il s’agissait là d’un « tour de passe-passe » et que l’État évitait ainsi les voies et moyens du contrôle parlementaire.
La dette d’aujourd’hui est l’impôt de demain
La théorie nous enseigne la pertinence de l’équivalence ricardienne, qui consiste à démontrer que la dette d’aujourd’hui n’est rien d’autre que l’impôt de demain. Ce qui vient d’être décidé pour la dette Covid, raccrochée à la non-extinction de la CRDS et, à l’inverse, à sa prolongation pluri-décennale n’est pas de bel augure pour la dette implicite.
Trop d’initiatives politiques - bonnes ou mauvaises, c’est un autre sujet - sont happées par le versant sombre. Ainsi, le système de garanties de loyers initialement voulu par la ministre Duflot avait été inscrit pour 25 milliards dans le hors-bilan. Quand la déficience du calcul prévisionnel de la nouvelle dépense publique lambda émerge, la solution opérationnelle et comptable est fixée dans la dette masquée. A noter que l’année suivante, le projet de loi ayant connu de nombreux amendements, l’inscription de la somme précitée a disparu. Autrement dit, conformément à leurs obligations constitutionnelles, les membres du Parlement siègent souvent en séances de nuit sur des fractions de budget inférieures à 50 millions d’€uros tandis que le hors-bilan fluctue à sa guise de plusieurs milliards.
Certains dirigeants s’émeuvent de ce que le regretté Professeur Pierre Lalumière nommait « les acrobaties françaises » : cette pratique ne date pas d’hier et fait l’objet de sections confidentielles de certaines agences de notation qui consolident - avec discrétion - les dettes explicite et implicite.