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Melinda Gates : « Mon objectif ? Donner accès à la contraception à 120 millions de femmes d’ici 2020 »

samedi 16 mai 2020

De passage à Paris (2013), Melinda Gates, reine du caritatif et épouse de Bill Gates, plaide pour l’accès de toutes les femmes, même les plus pauvres, au contrôle des naissances. Pour cette ambassadrice du Planning familial, émancipation rime avec contraception. De passage à Paris, nous l’avons rencontrée le 20 janvier avant son départ pour Davos.

ELLE. Pourquoi l’accès à la contraception est-il primordial ?

Melinda Gates. Depuis quinze ans, notre fondation (la Bill et Melinda Gates Foundation – ndlr) soutient des projets de santé publique et de vaccination. Dans ce cadre, nous sillonnons le monde. Dans les pays les plus pauvres, même dans les villages les plus reculés, les femmes nous disaient : « Vacciner mes enfants, c’est bien mais, comment puis-je en avoir moins ? Je ne peux pas les nourrir. Je sais qu’il existe des méthodes. Pourquoi le dispensaire ne me donne pas de contraceptifs ? » Partout, les femmes ont entendu parler des méthodes contraceptives et veulent y accéder. Elles savent que si elles ont trop d’enfants, elles ne pourront pas les soigner, ni les nourrir ou les éduquer convenablement. Permettre à une femme de gérer sa fertilité entraîne des effets positifs sur les familles, les communautés, les sociétés tout entières. C’est un énorme levier de développement !

ELLE. Quelles sont les actions soutenues par la Fondation Gates ?

Melinda Gates. En avril 2012, nous sommes engagés aux côtés d’autres bailleurs de fonds dans la promotion du Planning familial via le programme FP2020. Son objectif ? Donner accès aux moyens contraceptifs à 120 millions de femmes pauvres d’ici à 2020. Les effets de ce programme sont perceptibles. On estime que les 24,4 millions de femmes qui ont déjà bénéficié de ce programme ont évité 80 millions de grossesses non désirées, 26,8 millions d’avortements à risques et 111 000 décès de mères. Concrètement, nous renforçons les systèmes de santé, formons les personnels de terrain, poussons les fabricants à concevoir des contraceptifs sûrs, bon marché et faciles à utiliser, organisons les systèmes de distribution, encourageons l’éducation à la santé…

ELLE. Quels sont les pays concernés par ce programme ?

Melinda Gates. Début 2016, nous avons soixante-neuf pays impliqués, majoritairement en Afrique. Parmi les derniers signataires, il y a le Mali, la Somalie, le Népal et Madagascar. Autant de pays avec des cultures et des sociétés très différentes, mais qui, tous, ont compris à quel point la fécondité était un paramètre fondamental de développement. Nous sommes d’ailleurs particulièrement contents de savoir que l’Indonésie et l’Inde ont rejoint le FP2020. Au vu de la taille de leur population, c’est essentiel.

ELLE. Comment fonctionnez-vous sur le terrain ?

Melinda Gates. Nous nous adaptons aux cultures des pays où nous intervenons. Au Niger, le gouvernement travaille à l’éducation des maris, tandis qu’au Sénégal, ce sont les imams locaux qui doivent être convaincus. Dans les villages de l’Inde, les travailleurs sociaux œuvrent à persuader les belles-mères, qui sont décisionnaires, et poussent souvent à multiplier les petits-enfants. Il n’y a pas de modèle absolu, seulement des expériences efficaces qui sont dupliquées. Les résultats sont encourageants.

ELLE. Y a-t-il un mode de contraception privilégié ?

Melinda Gates. Non, cela dépend des lieux, des cultures et des circonstances. En Afrique, par exemple, l’utilisation du préservatif est compliquée pour les femmes. Le préservatif y est associé au sida. Une femme qui demande à son mari d’utiliser des préservatifs s’entendra répondre : « Crois-tu que je suis malade ? Ou est-ce toi qui es malade ? » Souvent, les femmes préfèrent des méthodes pour lesquelles elles sont seules décisionnaires. Dans les classes moyennes et supérieures, la demande de pilule contraceptive est forte. Les femmes très pauvres préfèrent quant à elles les injections tous les trois ou six mois, et plébiscitent les implants efficaces pendant au moins 3 ans.

ELLE. Quel est le coût de la contraception ?

Melinda Gates. Le coût moyen annuel est assez faible. Un implant qui assure une contraception pendant cinq ans coûte 8,5 $, soit à peine plus de 1,5 $ par an ! Le retour sur investissement est énorme. Grâce aux données que notre fondation a pu accumuler en quinze ans, on estime que chaque dollar investi rapporte sept fois plus en terme de création de richesses.

ELLE. En tant que catholique, comment vivez-vous le fait de promouvoir le contrôle des naissances ?

Melinda Gates. Il y a encore quelques années, je ne voulais pas forcément prendre la parole sur ce sujet. Mais les femmes veulent qu’on en parle, elles veulent avoir moins d’enfants et elles meurent de ne pas avoir le choix. Ne nous leurrons pas, dans le monde entier, les femmes croient à la contraception, elles s’en servent. Il est donc important d’alerter les gouvernements, les sociétés et le monde entier sur ce sujet, sans le politiser.

ELLE. L’actualité, entre crise des migrants et montée du terrorisme, est-elle liée à la gestion de la fertilité ?

Melinda Gates. Indirectement oui. La surnatalité entraîne la pauvreté et l’instabilité. Un avenir sans perspectives conduit à un cycle vicieux de désespoir, de migrations, de violences… Je tiens à rappeler également que les attaques terroristes et les crises économiques menacent tout particulièrement les femmes. Quand la contraception est accessible, la natalité chute à deux enfants par femme en une génération. L’émancipation féminine marche car les femmes réinvestissent 90 % de leurs revenus dans leurs familles. Miser sur les filles et les femmes, c’est promouvoir un cycle vertueux bénéfique pour tous.

ELLE

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