Tunisie et Ukraine démocratiques
Certes en Tunisie les islamistes d’Ennahda viennent de perdre les élections, mais leur pouvoir de nuisance terroriste est-il pour autant réduit à néant ? C’est douteux au vu des attentats qui se sont multipliés à la veille de la consultation… tel l’épisode révélateur d’Oued Ellil et le sanglant assaut des forces de sécurité le 23 octobre contre une maison occupée par des fondamentalistes [2]. L’islamisme tunisien adossé au chaos libyen – décomposition d’un État mort avant que d’être né - n’a certainement pas dit son dernier mot. Ajoutons que le feu takfiriste couve également au Maroc et en Algérie.
En Ukraine, les résultats des élections confortent sans surprise l’oligarchie dirigeante issue du coup de force du 21 février [3]. Les oreilles distraites n’auront entendu et retenu que la jubilation de la presse libre à l’annonce d’« une écrasante victoire des pro-occidentaux aux législatives » [lemonde.fr26oct14]. Mais au-delà de l’effet premier, il leur faudra bien chercher pour savoir qu’au Donbass « trois millions d’électeurs environ n’auront pas participé au scrutin sur les cinq millions que comptent les régions de Donetsk et de Lougansk » ! Si l’on consulte par ailleurs des sources moins officielles que lemonde.fr, la semaine qui s’ouvre ce 27 octobre pourrait en réalité s’avérer particulièrement décisive pour Novorossia, la Nouvelle Russie.
Le Renseignement militaire de la République populaire de Donetsk [DNR] prévoit en effet une possible offensive des forces de Kiev dans les prochains jours. Faut-il souligner que le cessez-le-feu négocié à Minsk le 5 septembre entre la résistance du Donbass, Kiev et Moscou par le truchement de la Biélorussie, est une quasi fiction… à mettre sur le même plan que les négociations inabouties portant sur l’approvisionnement gazier de l’Ukraine par la Fédération de Russie et le règlement des arriérés de paiement [5,3 mds de $] de Kiev à Gazprom [ladepeche.fr27sep14]. Dans cette occurrence les Forces d’auto-défense de la Nouvelle Russie [FAN] se préparent au combat en zone urbaine. À Donetsk les défenses de la ville sont complémentées à grand renfort de chars et de batteries anti-aériennes afin de résister à une éventuelle, voire probable offensive massive de l’armée gouvernementale après la légitimation du pouvoir par les urnes [infobeez.com/2014/10/25]. Une situation qui ne correspond guère aux récits idylliques sur fond de démocratie triomphante que rapportent les médias ouest européens bien pensants.
Maghreb et Machrek, l’hiver arabe
Sans prétendre boucler notre tour d’horizon, évoquons en passant les bombes qui explosent régulièrement au Caire [4], mégapole où les Frères musulmans évincés du pouvoir en juillet 2013 n’ont apparemment pas désarmés… À telle enseigne que l’Égypte vient de décréter l’état d’urgence pour une durée de trois mois au nord et au centre de la péninsule du Sinaï, zone où 28 soldats ont trouvé la mort à la suite d’une attaque à la voiture piégée. Deux jours auparavant, le 22 octobre, quelque six policiers et trois passants avaient également été blessés par l’explosion d’une bombe placée à proximité de l’Université du Caire. Le 19, ce sont sept soldats qui avaient perdu la vie dans l’explosion d’un IED [Improvised Explosive Device], une machine infernale artisanale mise à feu au passage de leur véhicule. Une technique peu coûteuse, aujourd’hui bien rodée, parfaitement opérationnelle, qui vite épuisa les forces morales des troupes américaines en Irak à partir de 2004 [leparisien.fr25oct14].
On voit mal dans ces conditions la manne céleste du tourisme revenir alimenter l’économie défaillante de l’Égypte. Du Maghreb au Machrek ce ne sont qu’États navrés, au bord de la déroute, en proie aux assauts des Golem djihadistes lâchés par les apprentis sorciers occidentalistes. Par les stratèges de la terreur et les tenants de l’Ordo ab chao dont les théoriciens se sont majoritairement regroupés au sein des think tanks de Washington et de Londres.
Au Liban la guerre de Syrie a gagné le centre du port de Tripoli qui connaissait déjà depuis trois ans, sporadiquement, des affrontements meurtriers entre sunnites partisans de l’Armée syrienne libre et la communauté alaouite soutenant la présidence d’el-Assad à Damas… C’est cependant la première fois que des combats de cette ampleur ont lieu dans la « capitale du nord » Liban. Des scènes de guerre intervenues deux mois après d’autres affrontements de même nature qui dans l’Est du Pays des cèdres, avaient opposé, l’Armée à des djihadiste ayant prêté allégeance à l’ÉI… et aussi à des takfiristes du Front al-Nosra, ennemis jurés du Hezbollah – Parti chiite membre de la coalition gouvernementale libanaise avec deux ministres – qui combat en Syrie aux côtés des forces du régime légitime [lepoint.fr25oct14].
Kobané enfin ! Au nord de la Syrie, à la frontière turque, la ville disputée aux djihadistes est toujours le théâtre d’âpres combats entre Peshmergas kurdes et les salafo-wahhabites de l’ÉI [lexpress.fr24oct14]. Ankara qui avait déclaré vouloir ouvrir sa frontière pour laisser passer des secours en hommes et en armes, s’apprête en fait non à desserrer l’étau autour de la ville assiégée depuis près de cinquante jours, mais à laisser passer un gros millier de combattants destinés à renforcer l’Armée syrienne libre en lutte contre Damas… le seul et véritable ennemi de la Turquie kémalo-islamiste, pilier oriental de l’Otan et allié stratégique de l’État hébreu.
Un État où justement - à Jérusalem-Est - des heurts violents opposaient encore ce dimanche 26, pour la cinquième nuit consécutive, des centaines de Palestiniens à la police à l’occasion de l’enterrement de « l’auteur présumé d’une attaque anti-israélienne ». Un Palestinien de 21 ans a été accusé par les autorités judicaires israélienne d’avoir délibérément jeté sa voiture le 22 octobre sur un tramway tuant un nourrisson et une jeune Équatorienne [leparisien.fr26oct14]. Le tueur présumé avait été aussitôt abattu par les agents de sécurité.
Une situation qui en toute logique pourrait facilement dégénérer… si ce n’est que les spécialistes – lesquels ne se trompent jamais – considèrent que les risques d’une Troisième intifada en Israël sont à ce jour dérisoires au motif que « le contexte géopolitique régional n’avait jamais été aussi favorable à l’État hébreu depuis sa création en 1948 : un pouvoir fort en Égypte, allié d’Israël et en lutte contre les Frères musulmans ; une Syrie très affaiblie et divisée depuis trois ans par une guerre civile ; un Hezbollah très “occupé” dans cette même Syrie et au Liban, lui aussi au bord d’une nouvelle guerre civile ; un Irak “éclaté” qui est un second terrain d’affrontement entre sunnites et chiites » [atlantico.fr13juil14]. Un optimisme qui ressemble de façon troublante à de l’autosuggestion et que semblent démentir les événements en cours… surtout mis bout à bout ! Une ligne de feu ceinture aujourd’hui le Sud et l’Est de la Méditerranée – pour ne pas parler du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest - et l’on ne voit pas très bien qui pourrait contenir ou mieux, éteindre le brasier. Tous les indicateurs sont au rouge – Algérie et Maroc renouent avec la tension à leur frontière commune – et la vague islamiste ne donne aucun signe de fléchissement… !
Hexagonie le grand fiasco
Nul n’est prophète en son pays. Il n’empêche, ici aussi la nuée porte l’orage et il suffit de lever les yeux pour voir à quel point le ciel est chargé. À l’évidence nous sommes à l’orée d’années de plomb, si nous n’en avons d’ores et déjà franchi le seuil ! Le gouvernement confesse en matière d’emploi son « échec » mais un aveu ne suffit pas à l’absoute [5]
. En 1981 le gros Mauroy se rengorgeait sur la pelouse de l’hôtel de Matignon déclarant « nous nous battrons sur la crête des deux millions ». Tout ce qu’il sut faire en trois ans fut de vider les caisses de l’État qu’avait remplies son prédécesseur Raymond Barre. Donc un « échec » permanent, jamais démenti indépendamment des alternances, ces trente trois dernières années. Inutile de commenter des chiffres qui parlent d’eux-mêmes la bonne presse n’hésite pourtant pas à tenter de nous égarer dès la première ligne… en mettant en exergue les 3 432 500 demandeurs d’emploi sans préciser que si ce « taux de chômage reste stable par rapport au 1er trimestre, à 9,7% » il n’est question que de la catégorie A des demandeurs d’emploi [journaldunet.com24oct14]. Car en y ajoutant les B et les C, ce sont au total, fin septembre 2014, en métropole 5 128 200 laissés pour comptes sur le marché du travail… et 303 300 de plus avec les Dom. Le seuil de rupture n’est donc pas loin si l’on considère l’expansion de la dette publique avec en perspective une éventuelle impossibilité d’indemniser la perte de l’emploi voire de subventionner ceux, toujours plus nombreux, qui ont fait de l’assurance chômage une lucrative industrie.
Quant aux retraites des fonctionnaires elles sont financées par l’emprunt… Or quoiqu’un audit européen ait donné quitus aux banques hexagonales en ce qui regarde leurs capacités à résister à divers types de chocs financiers, resterait à savoir jusqu’où et jusque quand les marchés consentiront-ils au gouvernement français des prêts à taux dérisoires ? Par ce que si tout à coup le voile de Maya venait à se déchirer et que l’insolvabilité de l’Hexagonie devienne aussi visible que la nudité du roi de la fable, l’effondrement économique et le défaut de paiement suivrait de près la flambée des taux. Ceci en dépit de l’extraordinaire richesse dormante d’un pays laissé en friche par les incapables et les idéologues abrutis qui la dirigent.
À un moment ou à un autre le moteur grippera et la machine calera : c’est ce que prédit David Einhorn, patron de Greenlight, un fonds qui à Wall Street gère un Pactole d’actifs d’une valeur de cinq milliards de dollars. Un joueur perspicace qui en 2007 avait été l’un des rares à prévoir la chute de Lehman Brothers. N’en doutons pas ce requin d’au saumâtre doit savoir à peu près ce qu’il dit… et que dit-il ?
Que les marchés obligataires offrent des rendements qui ne reflètent en rien la situation réelle de la France. Que la « position » grecque est désormais plus enviable à ses yeux que celle de l’Hexagone. Que le rendement à 1,7% sur les obligations d’État à 10 ans ne se justifie plus. Que « les marchés considèrent la France comme l’Allemagne, alors qu’elle ressemble davantage à la Grèce qui a bu la potion amère… La Grèce a su restructurer ses obligations et son économie. Elle a cessé de vivre au-dessus de ses moyens. La France, elle, semble trop fière pour se réformer » et pour remettre en cause « l’impôt à 75%, les 35 heures, le refus de l’austérité budgétaire, et cætera »... Einhorn ironise lourdement en soulignant qu’Athènes est parvenu à ramener la charge de sa dette en pourcentage de Pib très au-dessous de celle de la France. Or, au stade actuel, l’installation de la défiance de la part de ceux qui investissent dans la dette française serait proprement catastrophique pour l’économie du pays. Et Einhorn de conclure par une sérieuse invitation aux investisseurs : « vendez de la dette française à découvert et en contrepartie achetez des obligations grecques » [latribune.fr23oct14].
La messe est dite ? Pas tout à fait encore, mais nous n’en sommes plus loin !
Léon Camus 27 octobre 2014