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Canada : Stephanie Warriner morte pour avoir mis son masque sous le menton

vendredi 20 janvier 2023

Poursuite de 16 M$ contre un hôpital de Toronto pour usage excessif de la force

Stephanie Warriner est morte deux semaines après une altercation avec des agents de sécurité de l’Hôpital général de la métropole en 2020.

Un rapport du coroner révèle que Danielle Stephanie Warriner était « assise calmement » dans le hall de l’Hôpital général de Toronto lorsque des agents de sécurité l’ont approchée pour lui demander de mettre son masque contre la COVID-19.

La famille de Stephanie Warriner, qui a été maîtrisée par deux agents de sécurité de l’Hôpital général de Toronto en 2020, intente une poursuite civile de 16 millions de dollars. Selon le rapport médicolégal, la femme de 43 ans n’a jamais repris connaissance après l’intervention musclée avec les employés de l’établissement.

Dans des documents judiciaires dont Radio-Canada a obtenu copie, la famille de Stephanie Warriner affirme que la conduite de plusieurs agents de sécurité était « irresponsable » et l’usage de la force « excessive », « injustifié » et « déraisonnable ».

Elle se dit convaincue que l’action des agents a directement causé la mort de la femme de 43 ans, dans la nuit du 10 au 11 mai 2020.
Une entrée de l’Hôpital général de Toronto.

La poursuite civile de la famille Warriner vise le Réseau universitaire de santé, qui comprend l’Hôpital général de Toronto.

Une vidéo de surveillance montre Stephanie Warriner vêtue d’une blouse d’hôpital bleue et assise dans l’entrée de l’établissement lorsqu’un groupe d’agents l’approche.

L’agent qui filme la scène a toutefois détourné sa caméra juste au moment de l’intervention, si bien qu’on ne voit pas la suite des événements.

Stephanie Warriner réapparaît ensuite à l’écran sur une civière, visiblement inconsciente. Elle mourra des suites d’un arrêt cardiaque. Sa famille n’en sera avertie que le 22 mai 2020.

La poursuite nomme les gardes de sécurité Amanda Rojas-Silva et Shane Hutley et le Réseau universitaire de santé auquel est affilié l’Hôpital général de Toronto.
Des documents judiciaires.

Le document de la poursuite civile de la famille Warriner a été déposé en septembre 2022 devant les tribunaux, mais les intimés n’ont été notifiés qu’au début de l’année.

Le document cite également trois autres agents de sécurité, soit leur superviseur, celui qui a passé les menottes à Stephanie Warriner et celui qui a filmé la scène.

La famille de la victime accuse les défendeurs de lui avoir infligé « coups, blessures et détresse émotionnelle ». Elle les accuse également de « complot et de négligence ».

Elle soutient par ailleurs que les agents ont violé le Code des droits de la personne de l’Ontario et que Stephanie Warriner a été victime de discrimination à cause de sa santé mentale et de ses antécédents de toxicomane.

La famille accuse en outre l’hôpital d’avoir attendu 11 jours avant de l’avertir.
Une femme au lourd passé médical

Stephanie Warriner était mère de cinq enfants. Elle pesait 55 kg et mesurait 1,65 m (120 lb et 5 pi 5 po).

Elle souffrait d’un trouble bipolaire et d’un syndrome de stress post-traumatique et elle avait reçu un diagnostic de maladie pulmonaire obstructive chronique.

Elle avait été admise à l’hôpital du 25 avril au 6 mai 2020 pour la COVID-19 et d’autres malaises respiratoires. Elle vivait à l’époque dans l’un des refuges pour sans-abri de la métropole.

Elle était retournée à l’hôpital deux jours plus tard, mais pour une affection qui n’était pas liée au coronavirus.

Une capture d’écran de la vidéo de l’agent de sécurité Kyle Bryson.

Le début de l’affrontement du 10 mai 2020 entre l’agente de sécurité Amanda Rojas-Silva et Stephanie Warriner, qui est cachée par le mur dans le hall de l’Hôpital général de Toronto.

Photo : AVEC L’AUTORISATION DE LA COUR SUPÉRIEURE DE L’ONTARIO

L’intervention dans le hall de l’hôpital, où elle s’était rendue pour manger quelque chose, a débuté lorsque l’agente de sécurité Amanda Rojas-Silva lui a demandé de porter un masque contre la COVID-19.

À en croire le document, Mme Warriner portait le masque sous le menton parce qu’elle avait du mal à respirer.

D’autres agents sont alors arrivés sur les lieux. L’agent Shane Hutley a pris part à la conversation avec la patiente.

La poursuite allègue que Rojas-Silva et Hutley savaient que la femme avait des problèmes de santé mentale, mais qu’ils ont élevé le ton en la réprimandant et qu’ils sont devenus agressifs.

Une capture d’écran de la vidéo de l’agent de sécurité Kyle Bryson.
L’agente de sécurité Amanda Rojas-Silva et des membres du personnel hospitalier (en blouse jaune anti-COVID) emmènent Stephanie Warriner sur un fauteuil roulant.

Mme Rojas-Silva a alors mis les mains sur la femme pour la pousser contre le mur à côté duquel elle était assise. C’est à ce moment-là que la caméra de l’agent Kyle Bryson cesse de filmer la scène et pointe sa caméra ailleurs.

La famille soutient que Rojas-Silva et Hutley ont alors plaqué au sol la patiente et qu’ils ont maintenu son visage contre le plancher en mettant leur poids sur le dos de la femme.

Un troisième agent, James Rouse, lui a alors passé les menottes.
Un malaise cardiaque soudain

En se relevant, les agents ont réalisé que la femme était en train de subir un arrêt cardiaque et qu’elle était inconsciente.

Stephanie Warriner a été transportée sur un fauteuil roulant au lieu de recevoir immédiatement les premiers soins. Des membres du personnel ont par la suite tenté de la réanimer.

La famille affirme que les agents de sécurité n’avaient aucune autorité pour arrêter ou menotter la patiente.

Denise Warriner tient la photo encadrée de sa sœur.
Denise Warriner dit qu’elle est toujours hantée par les circonstances entourant la mort de sa sœur Stephanie en mai 2020 dans le hall de l’Hôpital général de Toronto.
Photo : Radio-Canada / Talia Ricci (CBC)

L’agent Bryson a dit qu’il avait détourné la caméra au moment où il filmait la scène parce qu’il souffrait d’anxiété, mais la famille l’accuse d’avoir protégé ainsi ses collègues de toute responsabilité criminelle potentielle.

Le 15 mai, la patiente a été transportée à l’Hôpital Western, où elle est morte, sept jours plus tard.

À en croire les documents, la mort de Stephanie Warriner a eu un impact considérable sur sa famille, en particulier sur sa sœur Denise, son fils Theodore et sa fille Daisy.

Il y est notamment écrit que Daisy est morte d’une surdose à 24 ans après avoir cherché à soulager son chagrin dans la drogue.

Une vieille photo de famille de Stepĥanie Warriner.
Stephanie était la plus jeune de deux sœurs Warriner. Sa sœur Denise se souvient d’elle comme d’une femme sensible au grand cœur.
Photo : AVEC L’AUTORISATION DE DENISE WARRINER

Dans un communiqué, le Réseau universitaire de la santé s’est refusé à tout commentaire, parce que l’affaire est devant les tribunaux.

Aucune des accusations contenues dans la poursuite n’a été prouvée devant une cour de justice.

L’avocat des agents Rojas-Silva et Hutley, Simon Clements, affirme dans un courriel que ses clients n’ont aucun commentaire à formuler à ce stade-ci des procédures.
Une affaire rejetée au criminel

Les agents Amanda Rojas-Silva et Shane Hutley ont été accusés d’homicide involontaire et de négligence criminelle, mais un juge a statué en novembre que les preuves étaient insuffisantes pour tenir un procès.

Le procès était prévu pour mai 2023.

Pendant des mois, la famille Warriner attendait ces audiences au tribunal pour éventuellement obtenir justice. Elle affirme aujourd’hui qu’elle a totalement été prise au dépourvu par la décision du magistrat.

Denise Warriner montre une photo de sa soeur Stephanie sur son téléphone intelligent.
Denise Warriner dit qu’elle cherche à obtenir des réponses sur la mort de sa sœur, parce qu’il n’y avait aucune raison pour des agents de sécurité de recourir à la force selon elle.
Photo : CBC/Chris Glover

« J’ai été horrifiée de l’apprendre. Il y aurait dû avoir un procès, mais ces deux agents ne sont maintenant tenus responsables de rien et il y a depuis un vide dans mon cœur », explique la sœur de Stephanie Warriner, Denise.

« Ma sœur était une petite femme malade, qui souffrait de détresse respiratoire… et ils l’ont pourtant battue à mort alors qu’elle était assise. Il n’y avait aucune raison pour qu’ils aient mis la main sur elle », ajoute Denise Warriner.

L’interdit de publication qui pesait sur l’audience préliminaire étant levé, CBC
est autorisée à en révéler le contenu et à publier la vidéo compromettante en question.

Le garde qui a filmé la scène dit qu’il a détourné sa caméra au moment de l’intervention, selon ce qu’il a dit à la cour, parce qu’il avait « paniqué », parce qu’il souffre d’anxiété.

La décision du juge Dunphy, de la Cour supérieure de l’Ontario, au sujet des accusations retenues contre les deux agents de sécurité, mais qu’il a rejetées en novembre 2022.

On apprend par ailleurs qu’un pathologiste a expliqué à la cour que Stephanie Warriner serait toujours en vie si les deux agents n’avaient pas appliqué une pression indue sur son dos.

La défense des deux agents avait toutefois déclaré que le pathologiste n’avait pas l’expertise nécessaire pour tirer une telle conclusion.

Le rapport du coroner a conclu que Stephanie Warriner est morte d’une lésion cérébrale résultant d’un manque d’oxygène « causé par une asphyxie survenue sous la contrainte après une lutte ».
Le marteau d’un juge.

Dans un courriel, le ministère du Procureur général de l’Ontario confirme à CBC que la Couronne a décidé de ne pas interjeter appel.

La maladie pulmonaire sous-jacente de la femme a également pu être un facteur possible qui explique sa mort, selon la décision du juge dont Radio-Canada a obtenu copie.

Durant l’enquête interne de l’hôpital, l’agent Hutley avait en outre admis que Stephanie Warriner n’avait pas attaqué dès le début de la conversation l’agente Rojas-Silva, contrairement à ce que sa collègue avait déclaré.

Un tel aveu avait été soumis à la cour lors de l’enquête préliminaire.

Le juge a tout de même conclu « qu’il n’y a aucune preuve que l’un ou l’autre des accusés ait appliqué un poids sur le haut du corps de la patiente, si ce n’est pour maîtriser ses bras pendant qu’on lui passait des menottes ».

« Il semble que quiconque ayant n’importe quelle autorité ou n’importe quel usage de la force soit autorisé à tuer », conclut Denise Warriner.

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