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Enron : les coulisses d’un incroyable scandale

mardi 4 mai 2010

Archives décembre 2002

L’affaire Enron est particulièrement significative des effets d’une dérèglementation sans contrôle et des excès que peut engendrer le marché. Enron, société US du secteur de l’énergie, est à l’origine du plus grand scandale financier des 20 dernières années.

Fondée en 1985 par Kenneth Lay, rejoint par la suite par Jeffrey Skilling, Enron est devenue en termes de capitalisation boursière la 7e entreprise US. Encensée par la presse et les analystes financiers comme nouveau modèle d’entreprise, sa valeur boursière ne cessait de croître (90% en un an). La revue Fortune l’avait ainsi élue 6 ans de suite comme l’entreprise la plus innovatrice.

En bon prédateur, Enron a aussi pleinement profité de la dérèglementation de l’énergie en Californie, exploitant à fond chacune des failles et n’hésitant pas à recourrir aux arrêts intempestifs, afin de faire grimper le prix du KW/h.

L’éclatement de la bulle a précipité non seulement l’entreprise Enron mais aussi le cabinet d’audit Arthur Andersen, complice. Plus d’une tonne de documents compromettants ont été détruits par le cabinet d’audit de renommée mondiale quasi séculaire.
Avec la faillite d’Enron, 20.000 personnes de l’entreprise perdirent leur emploi et plusieurs centaines de millions de dollars constituant l’essentiel de fonds de pension, donc la retraite de milliers d’américains partirent en fumée.
Jeffrey Skilling purge une peine de 24 ans et Ken Lay est mort d’une attaque cardiaque peu après le verdict.
Pour mémoire, le slogan de Enron était Ask Why ? Faut croire que bien peu de personne n’ont réellement suivi ce conseil en posant la question à Enron : Pourquoi de tels bénéfices ? D’oú viennent-ils ?
Cette affaire et le procès qui s’en suivit sont hautement instructifs. Ils sont d’ailleurs à l’origine de nouvelles lois et règles comptables afin de mieux encadrer dirigeants et audits et d’assurer une meilleure transparence des comptes, comme la loi Sarbanes Oxley http://www.piloter.org/gouvernance-..., les nouvelles règles comptables IAS IFRS .

Des dirigeants malhonnêtes, des auditeurs complices, des politiciens corrompus, des financiers myopes, des salariés grugés...

La faillite frauduleuse d’Enron est à la fois une carambouille à 60 milliards de dollars et le détonateur d’une véritable crise.
http://www.piloter.org/gouvernance-...

En fait de modèle économique, l’entreprise gonflait artificiellement ses profits tout en masquant ses déficits en utilisant une multitude de sociétés écrans et en falsifiant ses comptes. Le but était, ni plus ni moins, de gonfler la valeur boursière.

On peut dire ce qu’on veut des membres du Congrès américain, ils ont le sens du spectacle. Depuis qu’ils voient défiler les responsables du courtier en énergie failli Enron devant leurs innombrables commissions d’enquête, c’est à qui trouvera l’expression la plus choc, celle qui sera reprise dans le journal télévisé du soir. « Je voudrais vous traiter de bonimenteur de foire, mais ce serait insultant pour cette profession », lance un sénateur à Kenneth Lay, le PDG fondateur d’Enron. « Monsieur Berardino, je me demande si vous seriez d’accord pour éclairer de votre sagesse la classe moyenne de ce pays, les pauvres pigeons qui doivent travailler dur et payer des impôts », jette un membre de la Chambre des Représentants au patron d’Arthur Andersen, l’auditeur financier d’Enron. A chaque intervention d’élu vertueux, une inscription en bas de l’écran indique combien de milliers de dollars celui-ci a reçu d’Enron, à l’époque où le géant de l’énergie était fréquentable... Morceaux choisis de la plus grosse déconfiture du capitalisme américain.

Houston, 1400 Smith Street, QG d’Enron, un jour de 1998
« J’achète ! Je vends ! » Les 150 analystes de Wall Street qui visitent ce jour-là le sixième étage d’Enron Energy Services, la filiale chargée du courtage d’électricité et de gaz naturel, sont impressionnés par la ruche de traders survoltés qui s’affairent devant leurs ordinateurs. C’est Kenneth Lay, le PDG d’Enron, qui fait le guide. Après avoir quitté les analystes financiers, Lay revient au sixième étage : « Du bon boulot, les gars ! » En fait de courtiers, les 75 employés – secrétaires, commerciaux – ont été placés là pour faire illusion. « On a pris avec nous des photos, des objets personnels, pour faire croire que nous occupions ces bureaux, raconte Kim Garcia, une ancienne salariée. La plupart des bureaux étaient vides, certains n’avaient même pas d’ordinateur. On a installé nos ordinateurs portables, et quand les analystes sont arrivés on a fait comme si on était au téléphone avec les clients ! » Ken Lay avait déjà mis en place, chez Enron, la diabolique machine à jeter de la poudre aux yeux de la communauté financière.

Boston, rédaction de « CFO Magazine », fin septembre 1999
Julia Homer, rédactrice en chef de ce magazine destiné aux directeurs financiers, met la dernière main à l’éditorial du numéro d’octobre. « C’est toujours difficile de distribuer les premiers prix, particulièrement quand vous choisissez les gagnants du prix d’excellence des directeurs financiers, écrit-elle. L’innovation radicale de cette année devient une banalité l’année suivante. Les chouchous de Wall Street se transforment en parias. » Parmi les vainqueurs de 1999 se trouve un prodige de 37 ans, gueule d’ange et profil bas absolu.
Andrew Fastow, directeur financier d’Enron, déteste se retrouver sous le feu des médias. Mais Julia Homer est contente : il a accepté de donner une interview à sa revue, dans laquelle il explique comment il a aidé à multiplier par 10 le chiffre d’affaires d’Enron en moins de dix ans, sans diluer son capital ni augmenter ses dettes. « Un financement remarquablement innovant », s’émerveille un vice-président de la banque Lehman Brothers. « Andy a l’intelligence et l’exubérance joyeuse qui lui permet d’explorer de nouvelles voies », confie au magazine Jeff Skilling, à l’époque numéro deux d’Enron.
Quelle créativité en effet ! Ce jeune prodige est au cœur du procédé qui a permis à la fois de gonfler artificiellement le chiffre d’affaires du courtier en énergie et de faire disparaître miraculeusement dettes et pertes. Un groupe qui, à l’insu de tous, possédait plus de 700 filiales aux îles Caïmans...

New York, Wall Street, 20 août 2000
Bong ! La Bourse clôture une fois de plus à la hausse, en pleine euphorie internet. L’action Enron atteint ce jour-là 90 dollars, un niveau qu’elle ne retrouvera plus jamais. Personne ne peut encore se douter qu’en quelques mois les actionnaires du groupe auront vu 26 milliards de dollars partir en fumée !
Deux jours plus tard, le conseil d’administration d’Enron se réunit et vote un dividende. Les 15 administrateurs sont sur un petit nuage. Cette année-là, en plus de leur jeton de présence de 50000 dollars, ils recevront chacun en moyenne près de 1 million d’euros en actions et stock-options. Le conseil d’administration a bien mis en place des contrôles sur les activités d’Enron, mais ils dépendent entièrement des informations que lui donne le management ! « Nous ne gérons pas l’entreprise. Nous ne l’auditons pas. Nous ne sommes pas des détectives », dira bien plus tard l’un des administrateurs. Et comment ne pas faire confiance à des dirigeants aussi généreux ? Six des administrateurs membres du comité d’audit de l’entreprise ont dû donner leur démission la semaine dernière.

Washington, Washington Convention Center, 20 janvier 2001
C’est le bal le plus couru de cette journée d’inauguration du nouveau président. Le matin, George Bush a prêté serment sous une pluie glaciale. Et ce soir les 12000 invités du Texas-Wyoming « Blue » Ball savourent leur plaisir de voir un des leurs, un Texan et un républicain, reconquérir la Maison-Blanche. Kenneth Lay est là, bien sûr, et avec lui de nombreux dirigeants d’Enron. Lay, Skilling et Enron ont chacun déboursé 100000 dollars pour contribuer au financement des festivités de l’inauguration.
Une paille dans l’océan de dollars qu’a déversé Enron sur Bush et la classe politique en général. Entre 1989 et 2001, le groupe a donné près de 6 millions de dollars aux partis politiques et aux candidats aux élections fédérales. Et Ken Lay a bien mérité d’être surnommé « Kenny Boy » par Bush Jr : de 1993 à 2001, Enron l’a aidé dans ses campagnes à hauteur de 737000 dollars.

Houston, 711 Louisiana Street, bureau régional d’Arthur Andersen, 5 février 2001
Faut-il garder Enron comme client ? Ce jour-là, à Houston et au siège de Chicago, les responsables de la firme qui contrôle et certifie les comptes d’Enron se posent ouvertement la question. Question a priori étrange : Enron est une mine d’or pour Andersen, elle lui a rapporté l’année précédente plus de 50 millions de dollars, dont la moitié en activités de conseil.
Pourquoi donc envisager de se débarrasser d’un tel client ? Parce que les partenariats multiples qu’Andersen a aidé à mettre sur pied – facturant par exemple près de 6 millions de dollars d’honoraires pour la mise en place de deux d’entre eux – présentent des signes de plus en plus évident de conflit d’intérêts. En particulier LJM1 et LJM2, deux entités créées par Andrew Fastow, le directeur financier (LJM sont les initiales des prénoms de sa femme et de ses deux enfants).
L’objet de ces partenariats ?
Faire sortir des comptes d’Enron les investissements risqués ou les dettes qui feraient mauvais effet. En principe, il s’agit de « vendre » tout ou partie du risque à des partenaires extérieurs. Ce qui n’est pas illégal. La réalité montrera qu’Enron était des deux côtés du manche, avec un directeur financier qui porte à la fois la casquette du groupe... et celle d’investisseur dans LJM. Andrew Fastow aurait ainsi dissimulé 1 milliard de dollars de pertes sur les deux derniers exercices, se mettant au passage 30 millions de dollars dans la poche.
Quelle décision radicale prend la direction d’Andersen après cette réunion ? Aucune. On ne tue pas la poule aux œufs d’or. Aujourd’hui, le numéro un mondial de l’audit lutte pour ne pas tomber avec son encombrant client.

Houston, siège d’Enron, 12 février 2001
Jeff Skilling, alias « Darth Vader », devient PDG d’Enron. Abrasif, dur, cet ancien de McKinsey est, avec Ken Lay, l’homme qui a fait d’une compagnie régionale de distribution de gaz la septième entreprise américaine, spécialisée dans le courtage de gaz, d’électricité, de capacités en fibres optiques, de contrats à terme sur la météo, bref, de n’importe quel produit ou idée pour lesquels il existe une offre et une demande. Skilling est le genre de boss qui ne demandera jamais de nouvelles du rhume de votre petit dernier. « Quand il faut choisir entre l’un ou l’autre, il est beaucoup plus sûr d’être craint que d’être aimé », dit ce patron distant, qui se vante de « n’avoir jamais échoué dans le travail ou les affaires ».

New York, 6e Avenue, rédaction en chef de « Fortune Magazine », fin février 2001
Ils sont trois. Trois cadres d’Enron, venus de Houston pour rencontrer les rédacteurs en chef du magazine économique « Fortune ». Ils ont été envoyés par Jeffrey Skilling, furieux d’avoir appris que le magazine s’apprêtait à publier un article intitulé : « Enron vaut-il trop cher ? » L’auteur de l’article, une ravissante brunette de 30 ans, est l’un des tout premiers journalistes à poser des questions très précises sur les comptes obscurs du groupe. Elle a manqué d’éthique, s’étranglent Skilling et Ken Lay. Mais Bethany McLean, malgré son âge, n’est pas née de la dernière pluie. Elle n’est pas une journaliste de formation mais une analyste financière de Goldman Sachs qui, dégoûtée par le milieu des golden boys, s’est tournée vers la presse. « Fortune » tient bon. L’article est publié mais passe à peu près inaperçu. Aujourd’hui, Bethany est riche et célèbre. Un éditeur vient de lui avancer 1,4 million de dollars pour écrire un livre sur l’Enrongate.

Boston, fonds d’investissement Highfields Capital Management, 17 avril 2001
Richard Grubman, directeur de ce hedge fund qui joue Enron à la baisse, intervient une fois de plus dans la conférence téléphonique que donne Jeff Skilling pour commenter les résultats d’Enron. Pourquoi ne peut-on pas voir le bilan le plus récent de la firme ? Skilling : « Nous attendons que l’on ait procédé aux dernières vérifications et mises en forme comptables. » Grubman : « Vous êtes la seule institution financière qui ne soit pas capable de présenter un bilan ou de faire état de son cash-flow en même temps qu’elle présente ses bénéfices. » Skilling : « Vous, vous, vous... Bien, euh, merci beaucoup, nous apprécions. » Un court silence. « Trou du cul ! » Au bout du fil, Grubman entend Skilling et ses acolytes éclater de rire.

Houston, siège d’Enron, 14 août 2001
Jeffrey Skilling démissionne « pour raisons personnelles et familiales ». Les employés d’Enron, qui connaissent l’ambition du personnage, sont très surpris. La Bourse, méfiante, punit l’action Enron. Le même jour, Kenneth Lay envoie pourtant un courrier électronique rassurant à ses 15000 salariés : « Je ne me suis jamais senti aussi bien au vu des perspectives qui s’offrent à la compagnie. Notre performance n’a jamais été aussi forte, notre modèle de business aussi robuste, notre croissance aussi certaine. »

Houston, bureau de Kenneth Lay, 22 août 2001
Quoi de plus impressionnant qu’un passage dans le bureau de Kenneth Lay ? On a devant soit le père, le fondateur, l’âme d’Enron. Les salariés craignaient Skilling, ils admirent Lay. Et c’est justement parce qu’elle apprécie cet homme que Sherron Watkins, vice-présidente, a demandé à le rencontrer de toute urgence. Quelques jours plus tôt, elle lui a envoyé une lettre anonyme de sept pages dénonçant les tripatouillages financiers du groupe. Celui-ci risque d’« imploser dans une série de scandales comptables », écrit-elle, avant de détailler les innombrables irrégularités entourant Raptor, une entité que contrôle LJM, l’un des « partenariats » créés par Fastow, le directeur financier. Raptor a versé des sommes énormes à LJM, dit-elle, mais c’est Enron qui assume tous les risques de ce château de cartes. Raptor, calcule-t-elle, doit 700 millions de dollars à Enron.
Pendant une heure et demie, cette femme de 42 ans au caractère d’acier se lance dans un plaidoyer passionné. Le PDG l’écoute et lui promet de regarder les choses de près. De fait, il ne reste pas les bras croisés. Dès le lendemain, il se débarrasse de 108254 de ses propres actions Enron, pour 4 millions de dollars... Dans les trois semaines qui suivent la rencontre avec Sherron Watkins, il vend pour 20 millions de dollars de titres !

Houston, siège d’Enron, 16 octobre 2001
Le dos au mur, la firme annonce qu’elle déduit 1 milliard de dollars de ses résultats du troisième trimestre, faisant ainsi apparaître l’étendue catastrophique des fameux partenariats. En un instant, la confiance de Wall Street et des clients d’Enron s’envole. Le monde extérieur commence seulement à comprendre que le roi est nu...

Miami Beach, hôtel Loew’s, 22 octobre 2001
Les experts-comptables auraient pu choisir plus mal le lieu de leur convention annuelle : le soleil, la plage, les créatures sont au rendez-vous. Et comme cerise sur le gâteau, l’invité de marque est Harvey Pitt, le nouveau patron de la Securities and Exchange Commission (SEC), l’organisme de contrôle de la Bourse américaine. Pitt est un ami des experts-comptables. Avant d’être nommé à ce poste, il a été l’avocat des grands cabinets d’audit. Récemment, dit-il, la SEC n’a pas été « un endroit aimable avec les experts-comptables ». Mais « cela va changer », promet-il. « Vous n’aimerez peut-être pas toujours ce que nous avons à dire, mais vous apprécierez toujours la manière dont c’est dit », conclut-il. L’auditoire boit du petit lait.

Houston, bureau régional d’Arthur Andersen, 23 octobre 2001
Détruisez tous les documents sensibles relatifs à Enron, et en vitesse ! C’est la consigne que donne à ses troupes David Duncan, qui dirige l’audit d’Enron chez Andersen. L’opération durera jusqu’au 9 novembre. Duncan sera limogé le 15 janvier. Mais les temps ont changé : des sociétés spécialisées devraient être capables de retrouver sur les ordinateurs l’essentiel des documents qui y ont été créés. « Les gens ne s’en rendent pas compte, mais un ordinateur est comme un magnétophone qui ne s’arrêterait jamais d’enregistrer », dit Joan Feldman, président de Computer Forensics, à Seattle.

Houston, siège d’Enron, 24 octobre 2001
Andrew Fastow est remercié. Quelques jours plus tard, ce sera au tour d’autres cadres du groupe, accusés eux aussi de s’être enrichis avec les partenariats. Deux d’entre eux avaient chacun mis au pot 5800 dollars. Deux mois plus tard, l’investissement leur avait rapporté chacun 1 million de dollars... Sur la même période du début de l’an 2000, Michael Kopper, président pour l’Amérique du Nord, a – tout comme Fastow – multiplié par 180 son investissement de 25000 dollars dans un partenariat appelé Big Do. Big Do, comme Big Dough : littéralement « gros paquet de fric » !

New York, vendredi 2 décembre 2001, 4 h 28 du matin
Le site internet de la Cour fédérale des banqueroutes reçoit notification officielle du dépôt de bilan d’Enron. Faillite oblige, les dirigeants d’Enron expliquent aux salariés qu’ils ne pourront pas leur verser les indemnités de licenciement qu’ils leur avaient promises. Ils ne leur disent pas qu’ils ont versé quelques jours plus tôt plus de 55 millions de dollars de « bonus de rétention » à quelque 500 cadres.

Sugar Land, Texas, 25 janvier 2002, 2 h 30 du matin
Un agent de police découvre le corps sans vie de Cliff Baxter, dans sa Mercedes classe S noire, garée à 2 kilomètres de son domicile. L’ancien vice-président d’Enron, qui avait démissionné huit mois plus tôt, s’est tiré une balle de P-38 dans la tête. Dans sa lettre à Ken Lay, Sherron Watkins avait écrit : « Cliff Baxter s’est plaint avec force auprès de Skilling et de tous ceux qui voulaient l’écouter du caractère impropre de nos transactions avec LJM. »

Houston, domicile de Ken et Linda Lay, lundi 28 janvier 2002
« La seule chose dont je suis sûre à 100 %, c’est que mon mari est un homme honnête, décent et moral, qui ne ferait absolument rien de mal. » Ce matin-là, sur la chaîne NBC, Linda, l’épouse de Ken Lay, explique entre deux pleurs que le couple est ruiné. « Tout ce que nous avions était en actions Enron », dit-elle. Mais trois jours plus tard le « Wall Street Journal » révèle que Ken Lay détient pour plus de 10 millions de dollars d’actions non-Enron et que le couple possède 18 propriétés, d’une valeur estimée à plus de 30 millions de dollars. Début février, Ken et Linda Lay vendent leur chalet préféré d’Aspen pour 10 millions de dollars, soit 40000 euros – oui, euros ! – le mètre carré, qui dit mieux ?

Washington, 441 G Street, direction du General Accounting Office, 30 janvier 2002
Ses prédécesseurs étaient à peu près inconnus du public : le General Accounting Office (GAO), chargé des enquêtes pour le Congrès, n’a jamais brillé par ses coups d’éclat. Mais ce matin-là, quand il gare sa Jaguar bleue immatriculée CG GAO, David Walker sait que toute la presse va fondre sur lui. Il va annoncer sa décision de poursuivre en justice la Maison-Blanche pour obtenir les noms des gens consultés et reçus par le vice-président Dick Cheney, qui dirige le groupe de travail chargé de définir la politique énergétique de Bush. Au fil des fuites dans la presse et des demi-aveux, on a appris que Cheney et son équipe avaient rencontré les gens d’Enron à... six reprises. En avril 2001, au cours d’un tête-à-tête secret entre Dick Cheney et Ken Lay, ce dernier avait même remis au vice-président un mémo détaillant huit recommandations pour la politique de l’énergie. Sept seront adoptées.

Washington, commission d’enquête du Sénat, 5 février 2002
Deborah Perrotta s’effondre en larmes devant les sénateurs. « En septembre, on nous a dit qu’entre la mi-octobre et la mi-novembre on ne pourrait pas toucher aux actions Enron de notre plan d’épargne entreprise », explique cette mère de 59 ans, qui vient d’être licenciée. L’action a chuté de plus de 50 % pendant cette période, avant de perdre toute valeur deux semaines plus tard. Deborah a vu son bas de laine de 40000 dollars réduit à néant. Au total, c’est quelque 850 millions de dollars destinés à payer leurs futures retraites que les employés d’Enron ont vu s’envoler.
Et ce n’est pas tout. « La compagnie avait promis de nous verser 37000 dollars d’indemnités de licenciement, ils nous disent maintenant qu’on passera après les grandes banques, s’il en reste. Ma fille aînée se prépare à se marier. C’est quelque chose dont j’ai toujours rêvé, mais je ne pourrai pas l’aider financièrement. Nous avons perdu l’assurance maladie de l’entreprise. Nous devons nous battre pour faire bouillir la marmite. »

Cybermonde, 5 février 2002
Un manuel détaillant le « code d’éthique » d’Enron est adjugé, pour 177 dollars, sur le site internet de vente aux enchères eBay.com.

Washington, Chambre des Représentants, 14 février 2002, 2 h 43 du matin
A l’issue d’un débat acharné de dix-sept heures, la Chambre des Représentants adopte par 240 voix contre 189 une proposition de loi réformant de fond en comble le financement de la vie politique. Cela faisait sept longues années que les partisans de la réforme se battaient contre l’avalanche de milliards déversés par le big business sur les candidats, sept ans qu’ils subissaient une fin de non-recevoir. Il aura fallu le scandale Enron, avec ses millions de dollars de contributions, pour faire pencher la balance du côté de l’assainissement. Un travail d’examen approfondi est en cours, au Congrès, sur les plans d’épargne entreprise, les règles comptables, l’usage des paradis fiscaux.

PHILIPPE BOULET-GERCOURT

Le complice
Joseph Berardino. Le patron du cabinet Andersen n’a jamais tiré la sonnette d’alarme sur les comptes d’Enron, un bon client qui rapportait 50 millions de dollars par an !

Le cerveau
Andrew Fastow. Considéré en 1999 comme un prodige, le jeune directeur financier d’Enron est l’orfèvre de l’énorme supercherie comptable, qui a bluffé toute la communauté boursière et bancaire.

Le manipulateur
Kenneth Lay. Dès 1998, le père fondateur d’Enron avait monté de toutes pièces une fausse salle de courtage d’électricité pour impressionner les analystes financiers…

La brute
Jeffrey Skilling. Devenu PDG il y a un an, il est l’un des architectes de l’expansion débridée d’Enron. C’est sa démission « pour raisons personnelles », qui précipite la découverte du pot aux roses.

La dénonciatrice
Sherron Watkins. Cette vice-présidente a eu le courage de « révéler » l’ampleur des tripatouillages financiers du groupe à Kenneth Lay.

L’ami politique
Dick Cheney. Entre 1993 et 2001, Enron a donné 737 000 dollars pour financer les campagnes de Bush Junior. Le vice-président des Etats-Unis a reçu les dirigeants d’Enron à six reprises depuis un an.

Le suicidé
Clifford Baxter. Cet ancien vice-président d’Enron, qui avait démissionné huit mois plus tôt, a été retrouvé mort dans sa Mercedes, garée à deux kilomètres de son domicile.

La victime
Gwen Gray. L’une des ex-employées d’Enron pleure en témoignant devant une commission du Congrès. 5 000 salariés de la firme en faillite ont perdu leur job. Sans indemnités.

Source : Nouvel Hobservateur

http://hebdo.nouvelobs.com/sommaire...

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