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Histoires de pétrole

René Guyonnet

mercredi 28 avril 2010

26 mai 2003

Depuis un demi-siècle, pour garantir son accès à l’or noir, Washington n’a reculé devant aucune extrémité. Notamment en Iran et en Afghanistan.
Les États-Unis sont malades du pétrole. C’est l’hebdomadaire américain Time qui l’écrit. Depuis un demi-siècle, pour garantir son accès à l’or noir, Washington ou bien n’a pas hésité à monter des coups d’État, ou bien s’est laissé complètement abuser.

Les sources de Time ? Des documents officiels déclassifiés et des notes internes des grandes compagnies. Les lieux du drame ? Le Moyen-Orient, forcément.

La première histoire est relativement connue : il s’agit de la chute du Premier ministre iranien Mossadegh au début des années cinquante. Depuis le début du XXe siècle, l’exploitation du pétrole iranien était totalement entre les mains de l’Anglo-Iranian Oil Company. Elle décidait de tout : de la production, des prix et du petit cadeau accordé aux Iraniens. Élu chef du gouvernement du shah Mohamed Reza Pahlavi en 1951, Mossadegh proposa aux Anglais de partager fifty-fifty. Face à leur refus, il nationalisa l’Anglo-Iranian, qui devint le National Iranian Oil Company.

Les Britanniques, imités par les Américains, boycottèrent le pétrole iranien. Mossadegh, cependant, était devenu un personnage populaire. Mais il donnait un mauvais exemple. Le président américain Dwight D. Eisenhower suspendit l’aide étrangère. Une décision qui provoqua de l’agitation à Téhéran. Le bruit courut que les communistes du parti Toudeh allaient prendre le pouvoir, bien que Mossadegh fût aussi antisoviétique qu’antibritannique. Le 19 août 1953, après des émeutes qui firent quelque 300 morts, Mossadegh fut renversé et remplacé par le général Fazollah Zahedi. Le shah, qui avait fui, revint triomphalement. Time avoue avoir écrit à l’époque : « Ce n’était pas un coup d’État militaire, mais un soulèvement populaire spontané. » Ce n’était pas un soulèvement populaire, indique-t-il aujourd’hui, mais bien un coup monté et orchestré par la CIA.

Les communistes accusèrent le général américain Norman Schwarzkopf de complicité. Le fils de ce dernier devait, plus tard, commander l’opération Tempête du désert. Norman, le père, expliqua-t-il, n’était venu à Téhéran que pour voir des amis. Il y a rencontré Kermit Roosevelt, petit-fils du président Theodore Roosevelt, que les frères Dulles - John Foster, le secrétaire d’État, et Allen, directeur de la CIA - avaient envoyé pour seconder le shah.

Aux côtés de British Petroleum, héritière de l’Anglo-Iranian, cinq compagnies américaines, ancêtres d’ExxonMobil et de ChevronTexas, se branchèrent sur les gisements iraniens. Elles en tirèrent, en vingt-cinq ans, 2 milliards de barils, pendant que les États-Unis apportaient au shah une aide de 20 milliards de dollars pour financer son armée et sa police secrète, la Savak. Le tout n’empêcha pas la Révolution islamique de 1979. Et ce qui s’ensuivit.

L’autre histoire rapportée par Time est carrément rocambolesque. C’est sur la base d’un rapport complètement erroné de la CIA que les Américains ont, en Afghanistan, à partir de 1979, soutenu et armé les groupes de guérillas antisoviétiques, dont celui d’Oussama Ben Laden. Et qu’ils ont, à partir de 1982, livré à Saddam Hussein du matériel militaire et des produits permettant de fabriquer des armes chimiques.

Le rapport incriminé est un mémo secret de 14 pages intitulé The Impending Soviet Oil Crisis, « L’imminente crise pétrolière soviétique ». Ce texte, rédigé en 1977, concluait que l’Union soviétique ne produirait bientôt plus assez de pétrole pour subvenir à ses besoins : « Dans les dix prochaines années, l’URSS peut se trouver dans l’impossibilité non seulement de livrer à l’Europe orientale et à l’Europe occidentale les quantités de pétrole qu’elle leur fournit actuellement, mais être obligée de faire appel à l’Opep pour son propre usage. »

Deux ans après, les Soviétiques envahissaient l’Afghanistan. Le président Jimmy Carter fut persuadé qu’ils ne passaient par là que pour s’emparer des gisements de pétrole du Moyen-Orient. Il lança une sérieuse mise en garde : « Toute tentative par une force extérieure de mettre la main sur la région du golfe Persique sera considérée comme une attaque contre les intérêts vitaux des États-Unis, et une telle attaque sera repoussée avec tous les moyens nécessaires, y compris la force militaire. »

Caspar Weinberger, le secrétaire à la Défense de son successeur Ronald Reagan, déclara qu’il était indispensable que les États-Unis installent des bases militaires dans le golfe Persique « pour faire échec aux espoirs des Soviétiques de s’emparer des champs de pétrole ». En plus de ces mesures militaires appliquées au niveau des États, la CIA investit des milliards de dollars dans l’envoi d’armements divers, notamment les célèbres missiles Stinger, aux combattants antisoviétiques d’Afghanistan.
Entre-temps, en 1980, Saddam Hussein avait déclaré la guerre à l’Iran. Téhéran semblant prendre l’avantage, les États-Unis, à peine sortis de l’affaire des otages, ne pouvaient laisser triompher le pays des ayatollahs. En 1982, ils retirèrent l’Irak de la liste des pays soutenant le terrorisme. Ce qui autorisait Saddam à « acheter des avions, des hélicoptères et du matériel de sécurité nationale à des fins militaires ». Un peu plus tard, l’administration Reagan leva les restrictions sur la livraison aux deux pays - Iran et Irak - de « cinq produits pouvant être utilisés dans la fabrication d’armes chimiques ».

« À l’origine de toute cette folie, écrit Time, on trouve la version officielle admise par le gouvernement d’une production pétrolière soviétique menacée, ce qui était contraire à la réalité. » À coup sûr, elle était en déclin. Mais les Soviétiques n’étaient pas à court de pétrole. Pas plus qu’ils ne seraient obligés d’en importer. Leur technologie, simplement, était en retard, et il leur fallait investir dans l’infrastructure. En fait, la Russie est aujourd’hui le deuxième producteur mondial derrière l’Arabie saoudite. Au lieu d’être un des grands acheteurs de pétrole du Moyen-Orient, comme le prétendait la CIA, elle en exporte 3 millions de barils par jour à d’autres pays, dont les États-Unis. C’est l’Amérique, Arabie saoudite du début du XXe siècle, qui dépend aujourd’hui du pétrole importé.

Source :
http://www.jeuneafrique.com/article...

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