Depuis 1950 et le test de Turing, l’intelligence artificielle n’a cessé d’exciter nos peurs et d’alimenter nos rêves. Que ce soit à travers la littérature ou le cinéma, on ne compte plus les éléments de notre culture populaire qui fantasment sa supériorité sur l’humain. Dans les faits, elle est encore loin d’atteindre la puissance imaginée, étant par exemple « très idiote » pour le docteur Laurent Alexandre, ou semblable à un nouveau-né car dépourvue de processus d’apprentissage efficace selon François Jouen.
La loi d’Amara, du nom du fondateur de l’Institute for the future, dispose que « nous avons tendance à surestimer l’incidence d’une nouvelle technologie à court terme et à la sous-estimer à long terme ». Une tendance bien présente aujourd’hui, alors que la plupart des décideurs politiques, ne se rendent pas compte de l’importance que prendra l’IA dans les prochaines années. Cela pourrait accélérer leur remplacement.
A en croire le prix Nobel d’économie Richard Thaler, « les gens ont des cerveaux comme des supercalculateurs qui peuvent tout résoudre, or les esprits humains ressemblent plus à de vieux ordinateurs lents et enclins à des crashs fréquents ». L’IA, quant à elle, peut doubler son potentiel tous les 2 ans en vertu de la loi de Moore. Si la comparaison avec l’humain est cruelle – notre niveau intellectuel ne progressant que bien plus lentement – elle peut être fatale pour la classe politique, qui elle ne se regénère qu’au minimum tous les 5 ans, au rythme des campagnes présidentielles.
On pourrait imaginer, dans un futur pas si lointain, que le décideur politique humain se voie retirer la gestion des affaires économiques, effacé par une intelligence artificielle au nom du principe d’efficacité. L’économie est une science dont les mécanismes complexes sont méconnus de la plupart de nos décideurs. Il n’est malheureusement pas rare d’entendre un élu raconter des inepties économiques ou inventer des concepts imaginaires sur un plateau de télévision ou dans une matinale radio. On ne s’improvise pas économiste, et prétendre infléchir le cap économique d’un pays nécessite une forte compréhension du monde contemporain et une finesse d’analyse quantitative indéniable. Une IA nourrie au Big Data, progressant plus fréquemment, réfléchissant plus vite et étant incapable de mentir ou de promettre des inepties dans un but électoral pourrait alors remporter l’adhésion des citoyens. On peut comprendre la lassitude de ces derniers à l’égard des représentants actuels, après des années de politiques économiques inefficaces marquées par une hausse continue du chômage et une progression très lente de notre croissance potentielle. On ne conserve pas une équipe qui perd.
Le contexte politique peut être un terrain fertile pour favoriser l’émergence d’une IA dirigeante. L’appétence citoyenne pour un Etat-nounou, s’exprimant dans un vote accru pour des programmes collectivistes, combinée à une réduction du nombre de parlementaires risquent d’engendrer une démocratie où les pouvoirs seraient concentrés et centralisés. Dans ce contexte il serait alors rationnel de confier les clés du pouvoir économique à une machine dont la puissance rendra plus efficace chaque décision.
Dans ce cas de figure, cette IA remplirait alors un rôle similaire à celui du commissaire-priseur défini par l’économiste Léon Walras. Elle fixerait à tout moment le niveau optimal de prélèvements obligatoires, de prestations sociales et de dépenses publiques nécessaires pour stabiliser notre économie face aux différents chocs subis et la faire ainsi tendre vers son optimum. Elle pourrait également estimer le niveau de saturation fiscale et les différentes élasticités de chaque ménage, en ayant établi des profils type des différents segments de la population, ce qui constituera un outil bien pratique pour faire accepter cette nouvelle gouvernance aux citoyens, dans un système où les taux et les assiettes des impôts et taxes seraient flexibles et volatiles.
Face à une telle efficacité économique, les dirigeants politiques humains ne seraient ainsi plus les mieux placés (s’ils ne l’ont jamais été !) pour s’occuper de la chose publique. Les élus seraient alors cantonnés à la supervision du système dans un rôle équivalent à celui du conseil constitutionnel, définissant les priorités et les grands principes. La compétition politique entre les partis se réduirait à un débat sur les valeurs fondamentales. De la politique pure en somme, qui ne traiterait que le « quoi ? » alors que la gestion du « comment » serait laissée à une IA dédiée.