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La République en Marche face aux débordements de l’islam radical

Lettre ouverte au président Macron, suite...

jeudi 11 avril 2019

Le 15 mars 2011 commençait en Syrie un conflit que d’aucuns ont longtemps cru être une simple et atroce guerre civile s’inscrivant peu ou prou dans ce qui fut nommé les « Printemps arabes ». À savoir, la confrontation d’un peuple malheureux soulevé contre un pouvoir oppresseur. Le bilan à ce jour en est particulièrement lourd : 400 000 victimes, des déplacés par millions, d’incalculables destructions matérielles… Mais en voulant a priori ignorer certains paramètres - telles les conflictualités ethno-confessionnelles : sunnites majoritaires travaillés en profondeur par les Frères musulmans contre minorités alaouite, chrétienne, druze et ismaélienne – et surtout, en faisant passer à la trappe certains protagonistes actifs en coulisses - tels les gouvernement français, anglais israéliens et leurs Services action - ne pouvait conduire qu’à de graves erreurs de jugement, d’analyse et de prévision.

D’autant qu’il est rapidement apparu - même aux yeux des moins avertis - qu’il s’agissait d’une crise géopolitique ayant rapidement revêtue une dimension mondiale… c’est-à-dire dépassant les niveaux national et régional. Ceci à l’image de ce que fut la Guerre civile espagnole qui fut assurément l’un des vestibules de la Seconde guerre mondiale. De juillet 1936 à avril 1939, cette guerre fut tout aussi fallacieusement civile que les huit années de conflit syrien. Notamment eu égard aux brigades internationales qui y participèrent téléguidées par le Komintern (comme en témoigne la présence du dirigeant du Parti communiste français et Secrétaire de l’Internationale communiste, André Marty, qui rejoint le front dès août 1936 précisément avec le titre d’Inspecteur général des Brigades internationales)… Celles-ci comptèrent des combattants appartenant à quelque cinquante nationalités différentes qu’il convient de comparer aux katibas de l’État islamique - ou aux diverses factions takfiristes rivales et autre Armée libre syrienne - qui pour leur part regroupèrent des ressortissants d’une centaine de pays, musulmans ou non, d’Europe, du Maghreb, d’Asie centrale et d’ailleurs.

D’où le casse-tête que constitue aujourd’hui le rapatriement de ces mercenaires du djihad ayant la nationalité française par la grâce du Seigneur et des bonnes œuvres de la République pour tous. Question du droit au retour qui se pose uniquement pour ceux qui n’auront pas péri, écrasés dans les derniers réduits de leur funeste utopie, par les bombardements massifs de la coalition occidentale… Ici il est intéressant de noter que les États de droit, qui ont banni avec horreur la peine capitale sur leur propre sol, l’appliquent avez un zèle surprenant sur les champs de bataille extérieurs et sans aucune discrimination entre personnels armés et civils qui n’en peuvent mais. Tuons les tous, Dieu reconnaîtra les siens !

La bataille historique d’Hajine

L’article - censuré dans la livraison de février 2019 de la “Revue de la défense nationale” – du colonel François-Régis Legrier, artilleur et commandant de la Task Force Wagram (unité d’obusiers Cæsar) dans le cadre de l’Opération Chammal en Irak, jette opportunément un jour cru quant aux moyens utilisés pour réduire les dernières poches takfiristes. Celui-ci s’appuie sur le déroulé de la bataille d’Hajine (sept.2018/janv.2019), l’un des derniers bastions de l’État islamique avec Al-Baghouz, reprise, elle, le 24 mars dernier. Or que dit Legrier en conclusion ? Oui, la bataille d’Hajine a été gagnée, au moins sur le terrain mais en refusant l’engagement au sol, nous avons prolongé inutilement le conflit et donc contribué à augmenter le nombre de victimes au sein de la population. Nous avons détruit massivement les infrastructures et donné à la population une détestable image de ce que peut être une libération à l’occidentale laissant derrière nous les germes d’une résurgence prochaine d’un nouvel adversaire. Nous n’avons en aucune façon gagné la guerre faute d’une politique réaliste et persévérante et d’une stratégie adéquate. Combien d’Hajine faudra-t-il pour comprendre que nous faisons fausse route ? ». Oublions la naïveté du militaire, autrement dit le sens moral pré-machiavélien hérité tant du stoïcisme antique que du christianisme (un coût humain disproportionné au regard conséquences de tous ordres), pour ne retenir de ce propos que l’essentiel : la politique de la guerre des airs à outrance, inventée dans les Années vingt par le baronnet Arthur Travers Harris, est devenue aujourd’hui stratégiquement inacceptable parce qu’impuissante à éradiquer définitivement un ennemi toujours prêt à resurgir de ses cendres !

Pour mémoire, rappelons que cette stratégie de domination aérienne fut conçue par celui qui deviendra plus tard Bomber - ou Butcher - Harris pour avoir conduit la monstrueuse campagne de destruction des villes allemandes au cours de la Seconde guerre mondiale. Harris inventa en effet le “bombardement de zone” ciblant de cette façon des villes ou des quartiers tout entiers, technique dévastatrice par laquelle – au prétexte de briser l’État islamique – nous venons d’en disperser des métastases au quatre coins du Machrek, du Maghreb et maintenant plus spécifiquement, dans l’aire transcontinentale sahélienne. C’est sous l’égide du ministre des Colonies, Winston Churchill, que cette guerre de suprématie aérienne fut pour la première fois mise en œuvre, au début des années vingt dans les zones tribales du Pakistan et notamment dans la Khyber Pakhtunkwa (auparavant Frontière Nord-Ouest) et simultanément en Irak, politique de contrôle indirect qui culmina en novembre 1923 par la mise au pas des tribus « récalcitrantes » de Liwa sur l’Euphrate. Enfin appliquée avec rudesse en 1925 aux rebelles kurdes de Soleymanié – ville frontière avec l’Iran – massivement gazés à l’Ypérite, le cruel gaz de combat qui s’illustra aux heures les plus sombres de la Grande Guerre. Winston Churchill est alors ministre de la Guerre dans le gouvernement de coalition de Lloyd George, et à ses dires, le but de ces campagnes d’extermination collective, est d’inspirer une terreur salutaire à des peuplades « non civilisées ». À l’époque, ni la langue de bois ni les états d’âme n’étaient vraiment en usage chez les décideurs politiques, loin de l’hypocrisie humanitarienne contemporaine, les mêmes qui jugèrent en 1945 à Nuremberg les vaincus de la coalition soviéto-anglo-américaine.

La fin de la stratégie aérienne de destruction massive

Revenons au colonel François-Régis Legrier dont l’intervention critique sur les techniques de guerre aérienne totale employées depuis très exactement un siècle montrent chaque jour d’avantage leur nocivité sur tous les plans : stratégique, diplomatique, géopolitique… et sur ceux de la guerre eschatologique et des idéologies combattantes. Ce militaire lucide dit abruptement une vérité d’évidence : il aura fallu cinq mois et des destructions considérables pour venir à bout des deux milles djihadistes retranchés à Hajine. Il n’est pas ici tout à fait inutile de signaler que les forces spéciales américaines qui ont combattu Daech à Hajine et Raqqa, sont paradoxalement intervenues à Deir ez-Zor pour y soutenir les frères de combat des djihadistes d’Hajine engagés là contre l’Armée nationale arabe syrienne… Alors pourquoi ce formidable gâchis humain, matériel et financier ? Parce que la coalition américaine à laquelle participe la France, refusant d’envoyer ses soldats au sol par fidélité à une doctrine peu économe de la vie humaine quand il s’agit des gens d’en face, qui est très soucieuse du pouvoir médiatique, a fait sous-traiter le travail par les milices locales du Front démocratique syrien, essentiellement kurdes, assez loin de leurs bases arrières et peu enclines à servir de troupes de choc pour le seul confort de la classe politique américaine. Pour vaincre à peu de frais, il fallait donc bombarder à l’aveugle tout ce qui de près ou de loin pouvait s’apparenter à un combattant ennemi. La conclusion s’impose, pour éviter une telle dépense d’énergie et tant de dégâts collatéraux, il eut mieux valu envoyer des soldats aguerris sur le terrain qui aurait nettoyé la place en quarante-huit heures, même au risque de quelques pertes en nombre acceptable. Ce qui surtout aurait permis de curer durablement l’abcès.

« La bataille d’Hajin a été gagnée… mais avec un coût exorbitant et au prix de nombreuses destructions » nous dit textuellement François-Régis Legrier. Lecture des événements qui en fait n’est nouvelle qu’en France où nous semblons découvrir la marche du monde tandis qu’au Pentagone de nombreux d’officiers supérieurs, plus libres de parole que ne le sont leurs homologues hexagonaux, ont naguère adressé une lettre ouverte au président Obama afin d’attirer – mais en vain, et pour cause - son attention sur des méthodes stratégiques désormais obsolètes et dangereusement contre-productives ainsi qu’en est convenue elle-même notre ministre des Armées, Mme Florence Parly que le colonel Legrier avait accueilli le 9 février dernier en Irak pour lui présenter notre contingent opérationnel. Le 5 mars , Mme Parly, à bord du porte-avions Charles de Gaulle en partance pour la Méditerranée orientale où il devait se joindre à une escadre de l’US Navy, ne déclarait-elle pas : « Nous savons bien que Daech n’est pas mort », faisant ainsi étonnamment écho à la phrase – pourtant désavouée à travers l’article censuré de la Revue de la Défense nationale - de François-Régis Legrier « Nous n’avons en aucune façon gagné la guerre faute d’une politique réaliste et persévérante et d’une stratégie adéquate »…

La dissémination des métastases djihadistes

Il faut admettre que les victoires de terrain obtenue par une dévastation extensive, comporte le risque presque assuré de défaites à venir. Dans le cas présent, la guerre industrielle livrée en Syrie depuis les airs contre l’État islamique restant de facto inachevée, elle a vocation à s’exporter, à commencer vers la Bande sahélienne et le Golfe de Guinée. De sorte qu’il s’agirait de dresser un bilan moins complaisant de nos exploits au Levant. Ceci afin d’en tirer d’urgence les leçons nécessaires et utiles sauf à devoir payer ultérieurement nos erreurs et nos manquements au prix fort. Parce qu’apparemment la tragédie du 13 novembre 2015 et la boucherie du Bataclan, authentique retour de flamme pour notre engagement inconsidéré dans le conflit syrien, a été trop tôt oublié. Reconnaissons l’inefficacité dans des conflits classiques – ou même hybrides - des stratégies de destruction massive régulièrement mises en échec… déjà au Vietnam, puis plus près de nous en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie où l’intervention des armées occidentales, est au demeurant parfaitement illégale au regard de la Loi internationale. A contrario des Russes, des Iraniens et du Hezbollah libanais qui sont intervenus à la demande expresse du gouvernement légal de la Syrie. Dont acte. De ce point de vue, d’aucuns se posent mezzo voce, depuis un certain temps, la question de savoir si la France en Marche n’est pas en réalité devenue à partir de 1999 et la guerre de M. Jospin contre la Fédération yougoslave, ou encore depuis celle de M. Sarkozy en février 2011 contre la Jamahiriya libyenne, un État voyou faisant outrageusement fi de la souveraineté des nations et de la légalité internationale ?

Car la coalition occidentale pour ses actions à double tranchant se fonde très abusivement sur la résolution 2249 du Conseil de sécurité en date du 20 novembre 2015, texte que des diplomates avertis n’ont pas hésité à qualifier de « monument d’ambiguïté ». Adoptée sans se référer au chapitre VII de la Charte des nations Unies, lequel autorise par exception le recours à la force, cette résolution prétend néanmoins s’y adosser en engageant tous les États membres “qui en ont les moyens… à prendre toutes les mesures nécessaires sur les territoires syriens et irakiens contrôlés par Daech pour mettre un terme aux actes de terrorisme”. Un insolent prétexte à l’ingérence de ceux qui prétendent incarner la démocratie universelle.

C’est également par un biais identique et par un semblable tour de passe-passe sémantique, que MM. Sarkozy et Cameron ont pu - en se prévalant de la Résolution1973 - déclencher la guerre de l’Otan, et en sous-main celle de l’Administration Obama - en Libye au printemps 2013… Conflit du fort au faible, conduit grâce à la sidération absolue des opinions publiques occidentales par la médiacratie au service d’une inique propagande de guerre… dont l’objectif était très évidemment un « changement de régime ». Ce dernier s’inscrivant dans la stratégie à long terme initiée en 2003 dit « Initiative Greater Middle East » par le président George Walker Bush. Plan qui a été suivi presque à la lettre et à semer le chaos de l’Hindou Kouch au Yémen et qui pourrait déboucher demain sur une nouvelle guerre civile algérienne, toutes les conditions étant apparemment réunies pour un retour des islamistes sur le devant de la scène… soit le cas échéant, l’apparition face aux côtes françaises d’un nouvel État islamique.

Pour bien prendre la mesure du conflit syrien et de sa dimension planétaire, il faut garder à l’esprit que la 4e Conférence des Amis de la Syrie à Marrakech, le 12 décembre 2012, rassemblait 114 États soutenant directement ou indirectement la politique israélo-américaine de “regime change”. Or pour soutenir l’armée des mercenaires djihadistes en lutte contre Damas – ceux-ci passant indifféremment du camp des rebelles modérés à celui des takfiristes les plus fanatiques – la France a, logistiquement et techniquement, soutenu les insurgés entre autres par le truchement de conseillers et d’experts. Elle les a aussi approvisionnés en armes transitant par le Qatar et l’Arabie via des ventes à l’exportation extrêmement lucratives. Reste que la guerre ne rapporte souvent qu’à fort court terme et principalement aux membres du complexe militaro-industriel. Nous devrions par conséquent nous en souvenir pour le futur immédiat et l’élaboration de nos politiques extérieures et des aventures militaires subséquentes. L’orage gronde. Il est à notre porte.

29 mars 2019

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