Du moins c’est ce qu’imagine l’historien israélien Shlomo Sand, qui a écrit une lettre en réponse à la déclaration d’Emmanuel Macron. Naïvement, il explique au Président :
« Voici précisément le moment de vous expliquer pourquoi je vous écris, et pourquoi, je me définis comme non-sioniste, ou antisioniste, sans pour autant devenir anti-juif. Votre parti politique inscrit, dans son intitulé : « La République », c’est pourquoi je présume que vous êtes un fervent républicain. Et dussé-je vous étonner : c’est aussi mon cas. Donc, étant démocrate et républicain, je ne puis, comme le font sans exception tous les sionistes, de droite comme de gauche, soutenir un Etat juif. Le Ministère de l’Intérieur israélien recense 75% de ses citoyens comme juifs, 21% comme musulmans et chrétiens arabes et 4% comme « autres ». Or, selon l’esprit de ses lois, Israël n’appartient pas à l’ensemble des Israéliens, mais aux juifs du monde entier qui n’ont pas l’intention de venir y vivre.
Ainsi, par exemple, Israël appartient beaucoup plus à Bernard Henry-Levy et à Alain Finkielkraut qu’à mes étudiants palestino-israéliens qui s’expriment en hébreu, parfois mieux que moi-même ! Israël espère aussi qu’un jour viendra où tous les gens du CRIF, et leurs « supporters » y émigreront ! Je connais même des français antisémites que cette perspective enchante ! En revanche, on a pu entendre deux ministres israéliens, proches de Benjamin Netanyahou, émettre l’idée selon laquelle il faut encourager le « transfert » des Israéliens arabes, sans que personne n’ait émis la demande qu’ils démissionnent de leurs fonctions.
Voilà pourquoi, Monsieur le Président, je ne peux être sioniste. Je suis un citoyen désireux que l’Etat dans lequel il vit soit une République israélienne, et non pas un Etat communautaire juif. Descendant de juifs qui ont tant souffert de discriminations, je ne veux pas vivre dans un Etat, qui, par son autodéfinition, fait de moi un citoyen doté de privilèges. A votre avis, Monsieur le Président : cela fait-il de moi un antisémite ? » [3]
La sacralisation du peuple juif
La sacralisation en cours de l’Etat hébreu nécessitait au préalable celle du peuple juif. Dans l’époque contemporaine, où règne, du moins en apparence, l’athéisme, il fallait, pour faire accepter aux goyim (les non-juifs [4]) occidentaux l’idée de la sacralité des juifs, inventer un culte « profane », ou plus précisément, un culte dépourvu de transcendance.
Ce culte, aujourd’hui admis en Occident, est celui de la shoah (mot hébreu signifiant « catastrophe »). Ce culte fut édifié par un holocauste (terme torahique désignant un sacrifice expiatoire ou rémunératoire) humain. L’holocauste humain était pratiqué par nombre de peuples païens antiques, tandis que les hébreux, pour expier leurs fautes, s’épargner le courroux de l’Eternel-Dieu, ou obtenir de Lui des avantages matériels, pratiquaient le sacrifice animal.
Mais dans le cas du culte shoatique, l’objectif était de le substituer au Christianisme pour remplacer Jésus par un autre dieu-messie (c’est au XVIe siècle, avec la kabbale lourianique, que les juifs ont été substitué au Machiach attendu [5]), le peuple juif sanctifié. Ainsi le sacrifice sur la Croix est remplacé par la Chambre à gaz et le four crématoire, le Golgotha par Auschwitz, le chemin de croix par les rails de train où passaient les wagons de déportés (d’où la commémoration quasi-religieuse du Vel’ d’Hiv’).
D’ailleurs, le célèbre rabbin Ron Chaya, qui enseigne dans une école talmudique à Jérusalem, affirmera (dans un français approximatif) que :
« Les bienfaits de la shoah, c’est inimaginable ! Inimaginable !
Grâce à quoi l’on vit aujourd’hui, si ce n’est pas par le mérite de cette souffrance ? Tout à coup, après la shoah… l’organisation des Nations Unis donne la Terre d’Israël (la Palestine) au peuple juif. Et par quel mérite, si ce n’est par la souffrance de tous ces juifs qui sont partis ?
Ces souffrances, c’est terrible, mais pour un peu de souffrance, tu reçois l’infini, ça vaut l’coup ! » [6].
Cette capacité des hommes politiques juifs a instiller leurs idées au sein des peuples et imposer leurs lois, était déjà pointé du doigt par Sénèque (1-65) : « Les Romains ont adopté le sabbat » [7], déplore-t-il, et ailleurs, parlant des juifs il écrit « Cette abominable nation est parvenu à répandre ses usages dans le monde entier ; les vaincus ont donné des lois aux vainqueurs. » [8]
Le grand historien du judaïsme et du messianisme juif, Gershom Scholem, ne dit pas autre chose lorsqu’il explique le but ultime des mystiques juifs :
« Une fois le judaïsme rabbinique cristallisé dans la Halakhah (la Loi juive formée par la Torah et le Talmud), les forces créatives, ranimées par un nouvel élan religieux – qui ne tentèrent pas ni ne furent jamais en mesure de modifier le judaïsme halakhique solidement établi –, trouvèrent à s’exprimer, pour la plupart, dans le mouvement kabbalistique.
Elles œuvrèrent le plus souvent de l’intérieur, s’efforçant de transformer la Torah pour faire de la loi du peuple d’Israël la loi secrète propre à l’univers et, par suite, à donner au juif, hassid ou zaddik (les mystiques « pieux » et « justes »), un rôle vital dans le monde. » [9]
Ici, Gershom Scholem nous dit en substance que la finalité du judaïsme poltitique, via sa mystique, est de faire de la Loi des juifs la loi secrète universelle, afin d’insuffler aux autres religions, idéologies, philosophies, aussi bien qu’aux institutions et à l’organisation des Etats, l’esprit du judaïsme. Ceci en vue de faire adhérer à leur insu les non-juifs à cette loi – ignorance liée à son caractère occulte – pour que ne subsiste en fin de compte que le judaïsme sous ses divers visages ou habillages.
Aujourd’hui, ce qui est exigé des goyim, c’est d’accepter sans résister, la sacralité du peuple juif et son règne. Ceci fut affirmé notamment par l’essayiste et journaliste politique juif français Bernard Lazare (1865-1903) :
« Sans la Loi, sans Israël (le peuple juif) pour la pratiquer, le monde ne serait pas, Dieu le ferait entrer dans le néant ; et le monde ne connaîtra le bonheur que lorsqu’il sera soumis à l’empire universel de cette loi, c’est-à-dire à l’empire des juifs. » [10]
Espérance de domination universelle présente dans toute la littérature juive moderne, comme l’a très largement démontré Hervé Ryssen dans ses travaux.
Mais au Ier siècle déjà, cette espérance de domination universelle était affirmée, notamment par le philosophe juif d’Alexandrie, Philon (25 av. J.-C- 50 ap. J.-C) lorsqu’il recommandait à ses coreligionnaires de ne pas irriter les Sophistes, pour ne pas provoquer d’émeutes, et d’attendre patiemment leur châtiment, qui arrivera le jour où l’Empire juif sera établi sur le monde entier [11].
Quant à Cicéron (106 av. J.-C-43 av. J.-C), il décrivait un phénomène tout à fait contemporain : avant la destruction du Second Temple, les juifs installés à Rome et qui s’y enrichissaient, utilisaient les deniers qu’ils tiraient de la République romaine pour soutenir Jérusalem [12].
L’Etat d’Israël et le sionisme : à l’origine d’un nouvel antisémitisme ?
Comme l’a exposé Bernard Lazare dans son ouvrage « L’antisémitisme, son histoire et ses causes », depuis l’Antiquité, à Rome, à Alexandrie et ailleurs, puis durant tout le Moyen-Âge en Europe, la présence des juifs et leurs activités (notamment économique) a systématiquement déclenché l’antijudaïsme des peuples.
Cette question se pose à nouveau mais de manière différente aux époques précédentes, pour deux raisons : la mondialisation, qui permet, entre autres choses, et via internet, de diffuser la même information, les mêmes faits, la même réalité, instantanément et partout dans le monde. Et l’existence de l’Etat d’Israël dont les atrocités qu’il commet et l’incroyable insolence qu’il affiche ne manquent pas d’atteindre presque tous les habitants de la planète.
La conséquence en est la montée graduelle, et à terme exponentielle, de l’antijudaïsme et de l’antisémitisme, de manière simultanée dans de nombreux pays du monde. Car de fait, ce ne sont pas les antisionistes qui amalgament le judaïsme et le sionisme, mais les juifs sionistes eux-mêmes.
Comment ne pas voir, dans le racialisme et le racisme pratiqués dans l’Etat hébreu autre chose que l’application des lois juives ? Lois qui étaient jusqu’ici largement méconnues des masses non-juives.
A titre d’exemple représentatif du lien étroit existant entre le judaïsme et le sionisme, et entre l’Etat d’Israël et les prêtres juifs, j’évoquerai le fameux Yossef Ovadia (1920-2013), Grand Rabbin d’Israël qui fut le fondateur et le guide spirituel du Shass, troisième plus important parti en Israël. Ce Yossef Ovadia, décédé en 2013, était considéré comme une sommité et son influence politique était incontestable, au point que le journaliste franco-israélien Marius Schattner écrivait à son sujet : « Il s’est imposé comme faiseur de rois de la quasi-totalité des gouvernements israéliens depuis trente ans » [13]
Après la mort de Yossef Ovadia, le Premier ministre Benjamin Netanyahou lui a rendu un vibrant hommage en le qualifiant de « géant de la Torah » et « guide pour une multitude ». Peu de temps avant sa mort, le rabbin reçut la visite du président israélien Shimon Pérez. Il était aussi important pour les dirigeants que pour le peuple israélien qui était au nombre de 700 000 à son enterrement, ce qui représente un dixième de la population israélienne.
Le discours et la vision politique de celui qui fut jusqu’à sa mort récente la plus haute autorité religieuse d’Israël, se situent dans la droite ligne de la loi juive (Torah et Talmud).
Conformément aux promesses d’extermination des peuples voisins des hébreux énoncés dans le Deutéronome et dans le livre de Josué, le Rabbi Ovadia a déclaré au sujet des Palestiniens :
« Puissent-ils disparaître de la Terre. Puisse Dieu envoyer un fléau aux Palestiniens, ces enfants d’Ismaël, ces vils ennemis d’Israël. » [14]
En 2001, Yossef Ovadia, dans un sermon, a appelé à l’extermination pure et simple des arabes :
« Il est interdit d’avoir pitié d’eux. Vous devez envoyer des missiles et les annihiler. Ils sont mauvais et détestables » et il ajoute « Le Seigneur retournera les actions des Arabes contre eux-mêmes, épuisera leur semence et les exterminera, les dévastera et les bannira de ce monde » [15]
Ayelet Shaked, l’actuelle ministre de la Justice israélienne, appela, lorsqu’elle était membre de la Knesset (parlement israélien), durant le bombardement de Gaza en juillet 2014, à « tuer toutes les mères palestiniennes » [16]. Une proposition génocidaire ingénieuse faisant écho aux propos de Yossef Ovadia qui parlait d’épuiser la semence des Arabes [17].
En 2012, Yossef Ovadia a appelé tous les juifs à prier pour l’annihilation de l’Iran. Ce qui est intéressant, c’est que, précédemment à cet appel, des dirigeants du ministère de la défense, ainsi que le président du Conseil à la Sécurité Nationale Ya’akov Amidor et le ministre de l’intérieur Eli Yishai, avait rendu visite au rabbin pour le persuader de soutenir une éventuelle attaque d’Israël contre l’Iran. Mais Ovadia avait déjà tenu un discours similaire à propos de l’Iran, une semaine avant de recevoir la visite de ces dirigeants israéliens [18].
Selon la loi juive, comme l’explique Yossef Ovadia, si les non-juifs méritent de vivre, ce n’est que pour servir Israël :
« Les Goyim sont nés seulement pour nous servir. Sans cela, ils n’ont pas leur place dans le monde – seulement à servir le Peuple d’Israël ».
Ne s’arrêtant pas là le rabbin poursuit en expliquant pourquoi les non-juifs jouissent d’une significative longévité :
« Ils ont besoin de mourir, mais Dieu leur donne la longévité. Pourquoi ? Imaginez qu’un âne appartenant à un juif meurt, le juif perdrait son argent. Ils ont une longue durée de vie pour bien travailler pour nous ».
Le Rabbi Ovadia précise encore sa pensée, en parfaite conformité avec les enseignements de la Bible hébraïque, lorsqu’il avoue très ingénument :
« Pourquoi les goyim sont-ils nécessaires ? Ils vont travailler, ils cultivent, ils récoltent… C’est pourquoi les goyim ont été créés » [19]
Certains de ceux qui n’auront pas lu la Bible hébraïque, diront que Yossef Ovadia l’a lu de travers. Bien au contraire, ce grand érudit la connaissait par cœur et la suivait à la lettre. Ovadia ne fait que se conformer à ce passage (parmi d’autres) biblique que l’on trouve dans le livre d’Isaïe :
« Des gens du dehors seront là pour paître vos troupeaux ; les fils d’étrangers seront vos laboureurs et vos vignerons. Et vous serez appelé prêtres de l’Eternel, on vous nommera ministre de notre dieu. Vous jouirez de la richesse des nations et vous tirerez gloire de leur splendeur » (Isaïe, 61 :5-6)
D’après l’enseignement de la Bible hébraïque, les peuples étrangers vivant près d’Israël et en Israël ne doivent leur survie qu’à leur statut d’esclave potentiel, sans cela, ils doivent être exterminés (voir comment le Foyer national juif puis l’Etat d’Israël ont mis en application la stratégie de conquête du livre de Josué dans mon ouvrage : Occident et Islam – Sources et genèse messianiques du sionisme).
Servir ou mourir, tel est le destin des Palestiniens et des peuples voisins d’Israël ou ceux qui sont les victimes désignées de sa vindicte.
Yossef Ovadia n’est pas une exception dans le monde rabbinique, il en est l’incarnation, lui qui est considéré comme le maître de la génération.
Et cette horrible réalité de la Bible hébraïque, aujourd’hui, c’est l’Etat d’Israël, qui met en application la loi juive, et le sionisme international (qui défend les intérêts de cet Etat), qui permettent aux masses du monde entier d’en prendre connaissance.
Le lien de causalité entre sionisme et antisémitisme se situe là, et non pas dans la lutte antisioniste.
La question juive, et plus précisément celle de l’antijudaïsme, est par conséquent inséparable de la question sioniste et de la politique israélienne.
Youssef Hindi