Le X, versant obscur du patron de Free
Outre les nouvelles technologies, Xavier Niel exploite des peep-shows. Il comparaît pour abus de biens sociaux.
Le X, versant obscur du patron de Free
Xavier Niel, 39 ans, fondateur du groupe Iliad, qui comprend le fournisseur d’accès à l’Internet Free, l’annuaire téléphonique inversé Annu et la banque de données Société. com, est le petit prince des nouvelles technologies. Mais il n’y a pas que l’ADSL dans la vie. Depuis une vingtaine d’années, il cultive en parallèle un jardin secret : exploitation de peep- shows et sex-shops, sites pornos, vente par correspondance de sex-toys... Cela lui vaut de comparaître aujourd’hui en correctionnelle pour abus de biens sociaux, après avoir échappé aux poursuites pour proxénétisme. Lui qui revendiquait le droit au respect de sa « vie économique » privée, va devoir assumer publiquement. Il semble désormais prêt à le faire.
Main à la main.
Aux enquêteurs, Xavier Niel a exposé sa vision de l’industrie du sexe, carburant au black : « Retour sur investissement intéressant et non fiscalisé », « argent facile ». Sans fausse pudeur, il leur a confessé : « Ces espèces utilisables instantanément ne donnent pas la même sensation de gain que l’argent que je gagne de façon orthodoxe comme opérateur de télécommunications. » D’autant que Xavier Niel a de gros besoins en liquide. En 2001, son partenaire historique dans Iliad, Fernand Develter, lui avait vendu une partie de ses actions. Le prix de cession étant discutable, ils auraient convenu d’un complément de la main à la main : 9 100 euros mensuels, sur une durée de... trente ans.
Niel et Develter se sont rencontrés au milieu des années 80 au café le Petit ramoneur, QG des employés de sex-shops de la rue Saint-Denis, à Paris. Le second, ancien fondé de pouvoir à la Société générale, prend sous son aile le jeune premier tout juste sorti de maths sup, « brillant mais désargenté ». Ensemble, ils prospèrent dans le Minitel rose, puis investissent 500 000 euros dans une dizaine de peep- shows parisiens. L’un de ces établissements, le New Sex Paradise, leur vaut une sueur froide en 2001 : deux de leurs associés, gérants effectifs de cet Eros center, sont poursuivis pour proxénétisme (ils seront condamnés en 2003 à deux ans de prison avec sursis, Xavier Niel étant entendu comme simple témoin), il faut les éloigner au plus vite. Leur chèque de sortie du capital, 7 300 modestes euros, est complété par un dessous de table de 200 000. Xavier Niel admet s’être remboursé à la bonne franquette, en prélevant 15 000 euros par mois sur les recettes non déclarées du New Sexe Paradise.
A Strasbourg, l’alerte est encore plus chaude puisque l’enquête pour proxénétisme vise nommément Niel et Develter. Leur établissement alsacien, sous l’enseigne Sex-Shop X Live Peep-Show, emploie une quinzaine de jeunes femmes comme « artistes visuelles ». Mais en cabine, on ne touche pas qu’avec les yeux. Le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke, spécialiste des affaires financières, détaille dans son ordonnance de renvoi la « variété des contacts physiques » avec le même détachement que pour les transactions off-shore : « Caresses par le client sur les seins et les fesses des danseuses, intromission de godemichés ou de vibromasseurs dans le sexe et/ou l’anus des danseuses par le client, intromission par les danseuses de ces mêmes ustensiles dans l’anus de certains clients. » Les gestionnaires locaux sont renvoyés en correctionnelle pour proxénétisme, après avoir admis la réalité de ces prestations excédant le simple show. Xavier Niel et Fernand Develter, qui avaient investi 200 000 euros sans se mêler de la gestion, étaient-ils au courant ? Le juge Van Ruymbeke accorde au premier un non-lieu « au bénéfice du doute », Niel ne s’étant jamais rendu sur place. Le second est renvoyé pour proxénétisme car, lors d’une tournée d’inspection anonyme, Develter avait demandé à une des artistes de lui faire une fellation : pour s’assurer du respect des bonnes pratiques, jure-t-il aux enquêteurs, « grandement satisfait » que son employée ait refusé ; parce que « ces pratiques devaient être habituelles pour lui », interprète au contraire l’intéressée.
Lettre anonyme.
Xavier Niel ne se voit plus reprocher que des prélèvements en espèces, portant sur plusieurs centaines de milliers d’euros. La montagne a accouché d’une souris : en 2002, une lettre anonyme dénonçait excusez du peu un vaste blanchiment, Iliad étant accusée de recycler l’argent du proxénétisme et de la pédophilie... Tracfin (l’organisme anti- blanchiment) y allait aussi de sa dénonciation officielle au parquet. A l’arrivée, une minable affaire d’enveloppes. Niel reconnaît les faits, admet les « risques » inhérents à l’industrie du sexe, mais dit ne pas pouvoir tout contrôler. Ce n’est que le « résidu de ce qu’il faisait il y a une quinzaine d’années », plaide son avocate, Me Catherine Toby. A la fin des années 90, Xavier Niel envisageait en effet de se retirer du sexe : candidat à la reprise du Palace (une boite de nuit parisienne), son pedigree de « roi du porno » avait été brandi pour lui barrer la route. Mauvais genre, car au même moment, la banque d’affaires Goldman Sachs envisageait d’entrer au capital d’Iliad. Depuis, sa soeur Véronique porte parfois des parts en son nom. L’accusation la qualifie de « faux nez ». En 2004, Xavier lui offre un Land Cruiser Toyota tout neuf. « Contrepartie de sa passivité arrangeante », estime le juge Van Ruymbeke. Comme si un milliardaire n’avait pas le droit d’offrir un cadeau de 45 000 euros à sa soeur. Renaud Lecadre — 14 septembre 2006
Un ex-PDG de Libération brutalement interpellé à son domicile
Du jamais vu dans une affaire de presse : le journaliste Vittorio de Filippis, qui a été directeur de la publication de Libération de mai à décembre 2006, a été interpellé à son domicile pour une banale affaire de diffamation. Récit.
Un ex-PDG de Libération brutalement interpellé à son domicile
Quand il arrive dans les locaux de Libération, ce vendredi peu avant midi, il a encore la trace des menottes au poignet. Journaliste économique, actuellement membre de la direction du journal, Vittorio de Filippis a été PDG et directeur de la publication du journal de mai à décembre 2006. Il vient de passer plusieurs heures, d’abord au commissariat de police du Raincy (Seine-Saint-Denis), la commune où il réside, et plus tard dans la matinée de ce vendredi au tribunal de grande instance de Paris. Avant d’être mis en examen. Il est pâle, fatigué, outré.
« J’ai été réveillé vers 6h40 ce matin par des coups frappés sur la porte d’entrée de ma maison, raconte-t-il. Je suis descendu ouvrir et me suis trouvé face à trois policiers, deux hommes et une femme portant des brassards, et j’ai aperçu dans la rue une voiture de police avec un autre policier à l’intérieur. »
Les représentants de l’ordre lui disent qu’ils ont un mandat d’amener au TGI de Paris contre lui. « J’imagine tout de suite que cela concerne la période de cogérance durant laquelle j’ai été PDG et directeur de publication de Libération en 2006, et je pense à l’affaire Xavier Niel, du nom du fondateur de Free, le fournisseur d’accès à Internet, parce que c’est tout simplement l’affaire la plus récurrente parmi toutes celles dont j’ai eu à répondre comme directeur de publication. Et celle qui a suscité le plus de contacts avec les avocats de Libération, Jean-Paul Lévy et Emmanuel Soussen. »
Xavier Niel a déjà attaqué plusieurs fois en diffamation Libération et le journaliste Renaud Lecadre, auteur d’articles dans le quotidien et sur le site liberation.fr, évoquant les démêlés judiciaires du fondateur de Free.
Vittorio de Filippis a chaque fois été convoqué par la justice car sa responsabilité est engagée : l’article 42 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 dispose que le directeur de publication d’un journal est « l’auteur principal » du délit de diffamation publique envers un particulier alors que le journaliste auteur du papier incriminé n’est que « complice ».
Mais Xavier Niel et la société Free ont été déboutés systématiquement, lors de procès qui se sont tenus au deuxième trimestre 2008. A chaque fois, ils ont en plus été condamnés à verser des dommages et intérêts à Libération pour procédures abusives.
Ce matin, le ton est vite monté entre les policiers et le journaliste, celui-ci leur faisant remarquer qu’ils ont profité de son portail sans serrure pour pénétrer chez lui.
« Habillez-vous, on vous emmène », répliquent-ils en lui interdisant de toucher à son portable dont l’alarme-réveil se déclenche. « Je commence à m’énerver, raconte Vittorio de Filippis. Réveillé par le bruit, mon fils aîné, qui a 14 ans, assiste à toute la scène. Son frère, 10 ans, ne sort pas de sa chambre mais j’apprendrai par la suite qu’il était réveillé et a très mal vécu ce moment… Je dis aux flics qu’il y a peut-être d’autres manières de se comporter. Réponse devant mon fils : « Vous, vous êtes pire que la racaille ! » J’ai juste le temps de rassurer mon fils, de lui dire que je ne suis pas un malfrat et que tout cela concerne le journal et qu’il est en train d’assister à une injustice. Je lui demande, en l’absence de ma femme qui est en déplacement, d’accompagner son frère à l’école et d’aller lui aussi en cours. »
Les policiers emmènent le journaliste au commissariat du Raincy.
7h10. Au commissariat, des policiers lui lisent les motifs de son interpellation. C’est bien de l’affaire Niel dont il s’agit et particulièrement d’un article du journaliste Renaud Lecadre paru sur le site liberation.fr. Après lecture du document, Vittorio de Filippis demande à plusieurs reprises la présence des avocats du journal. Réponse : « Ils ne seront pas là. » Vittorio De Filippis refuse alors de signer quoi que ce soit. « Je suis assis sur un banc, boulonné au sol, dont pendent plusieurs paires de menottes. Face à moi, affichée au mur, la Charte d’accueil du commissariat ».
D’autres policiers demandent au journaliste de vider ses poches. Il s’exécute.
7h30. Trois policiers viennent le chercher, lui demandent de mettre les mains dans le dos et le menottent. Puis ils le conduisent à une voiture et prennent l’autoroute A86. Dans la voiture, les policiers se réjouissent de pouvoir « voir en vrai les bureaux de Navarro ».
8h30. Vittorio de Filippis est emmené dans les sous-sols du TGI au dépôt, « quartier des hommes ».
« On contrôle mon identité puis on m’emmène dans une pièce glauque, avec un comptoir en béton derrière lequel se trouvent trois policiers dont un avec des gants, précise Vittorio de Filippis. Derrière eux, un mur de casiers qui contiennent les effets des personnes « en transit ». On me demande de vider mes poches, puis de me déshabiller. Dans mes papiers d’identité, ils isolent ma carte de presse et la mentionnent dans l’inventaire de mes effets. A aucun moment, jusqu’alors, je n’avais mentionné ma qualité de journaliste ».
« Je me retrouve en slip devant eux, ils refouillent mes vêtements, puis me demandent de baisser mon slip, de me tourner et de tousser trois fois. »
Le journaliste s’exécute puis se rhabille, mais on lui a retiré ses lacets, sa ceinture, la batterie de son portable. et tous ses papiers et effets.
9h30. Les policiers l’accompagnent dans une cellule « qu’ils referment à triple tour ».
« La pièce comporte une table, un rouleau de papier hygiénique, une paillasse en béton sur laquelle sont posées deux couvertures. Dans un recoin, j’aperçois un WC. Je m’asseois sur la table pour éviter les cafards et les mites. »
10 heures. Deux gendarmes viennent le chercher, et l’isolent à nouveau derrière un paravent en béton qui se trouve dans le long couloir bordé de cellules.
Ils lui demandent de se déshabiller complètement.
« Je signale alors que j’ai déjà été fouillé d’une manière un peu humiliante deux heures plus tôt et je refuse de baisser mon slip à nouveau. Bien que comprenant l’absurdité de la situation et mon énervement, ils me répondent que c’est la procédure et qu’ils doivent appeler la juge devant mon refus. Celle-ci leur répond que soit je respecte la procédure et dans ce cas-là elle m’auditionnera et je serai libéré ; soit j’assume mes actes ».
Le journaliste accepte donc de se laisser fouiller à nouveau, de baisser son slip, de se tourner et de tousser.
Rhabillé, il est menotté « mais cette fois avec les mains devant », et escorté par les gendarmes dans les couloirs interminables du TGI, jusqu’au bureau de la juge Muriel Josié, vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris.
10 h 40. Dans le bureau de la juge, les gendarmes lui retirent les menottes. La juge, qui « au départ », selon Vittorio de Filipis, « a l’air un peu gêné », lui signifie qu’elle l’a convoqué parce qu’elle a déjà procédé à de nombreuses convocations par courrier dans le cadre de l’affaire Niel et qu’il a toujours été « injoignable ».
Le journaliste lui répond alors que, comme pour chacune des affaires qui concernent des articles écrits par des journalistes de Libération, il transmet les courriers aux avocats du journal. Et il demande alors à parler à ceux-ci. « La juge me demande leur adresse, puis me lit une liste d’adresses d’avocats dans laquelle j’identifie celles de nos avocats ».
Puis Vittorio de Filippis refuse de répondre à toute autre question. La juge s’énerve, hausse le ton. Mais, en l’absence de ses avocats, le journaliste refuse tout échange verbal avec elle.
La juge lui fait signer le procès-verbal de l’entretien et lui notifie sa mise en examen pour « diffamation ». Elle lui demande s’il sera joignable d’ici à la fin du mois de décembre.
Ensuite, les deux gendarmes reconduisent Vittorio de Filipis à travers les méandres des couloirs du TGI — « mais cette fois je ne suis plus menotté ». Ils lui rendent ses papiers et ses effets. Et le libèrent.
11h30. Sur le trottoir devant le TGI, Vittorio de Fillipis appelle immédiatement les avocats du journal et la direction de Libération.
Aussitôt informée, la Société civile des personnels de Libération (SCPL, actionnaire du journal) dénonce, dans un communiqué, « ces méthodes inadmissibles ». « La SCPL veut manifester sa solidarité vis à vis de Vittorio de Filippis, écrit-elle. Nous protestons auprès des autorités politiques et judiciaires. Nous demandons qu’une enquête soit ouverte sans délais sur ces méthodes. »
L’un des avocats de Libération, Me Jean-Paul Levy, dénonce les conditions de cette interpellation, « une première », selon lui, en matière de délit de presse. « Je suis l’avocat de Libération depuis 1975 et c’est la première fois que je vois un directeur de publication faire l’objet d’une interpellation et d’un mandat d’amener », déplore-t-il. « Je suis scandalisé que l’on inflige un tel traitement pour un délit qui n’est pas passible de prison ».
La Société des lecteurs de Libération (SLL), « scandalisée par les méthodes employées par la police judiciaire et la magistrature dans une affaire de presse », s’associe à l’indignation et à la protestation de l’équipe.
Laurent Joffrin, PDG du journal et directeur de la rédaction, s’exprimera demain samedi dans la page consacrée par le quotidien à cette arrestation, sans précédent dans les annales judiciaires.
« Libération » étant partie prenante dans cette affaire, nous avons choisi de fermer les commentaires sous cet article.