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Grèce : victoire de Syriza ! Quelle victoire ?

Léon Camus

jeudi 29 janvier 2015

Malgré tout le tapage ayant entouré la victoire sur le fil du parti Syriza, la nouvelle donne politique en Grèce ne devrait pas bouleverser l’Union européenne, l’Europe des cosmopolitistes. Contrairement à ce que l’on pense - sans l’avouer clairement dans les milieux euro-gaullistes, Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen – la vague de fond anti austérité qui en Grèce vient de balayer les hommes du système, n’a pas pour objectif de lutter ni frontalement ni indirectement contre icelui… et encore moins de faire « éclater l’Union » comme d’aucuns l’espèrent ou le souhaitent. À ce titre les envolées lyrique qui parlent de « Printemps des peuples européens » sont assez ridicules voire tout à fait déplacées à l’heure d’une discrète mais authentique dévaluation de l’€ sous couvert de « quantitative easing ». Parce qu’inonder les établissements financiers de liquidités comme le fait actuellement la Banque centrale européenne revient bien à une dévaluation, non ? N’est-ce pas ?

Tsipras le réactif

De tout évidence le chef de Syriza, Alexis Tsipras, réagit vite : quelques heures après la fin du scrutin il transformait l’essai en passant une alliance de gouvernement avec le Parti des Grecs indépendants, formation dite souverainiste présentée comme euro-sceptique, dont les treize sièges permettent à Syriza de disposer de la majorité parlementaire absolue. Reste que si les deux mouvements ont en commun un refus catégorique de l’austérité, tout par ailleurs les sépare, notamment la question de la permissivité migratoire… option prônée par Tsipras qui s’est complaisamment affiché au bras d’une migrante africaine sans papiers. Un choix sociétal qui a tout pour séduire les idéologues européistes viscéralement hostiles à toutes frontières, morales comme physiques, mais est par définition totalement contradictoire avec quelque aspiration de restauration nationale que ce soit. Bref cet étrange collage de la carpe et du lapin ne peut que laisser perplexe ! On peut aussi en déduire que Syriza sous des dehors casse-système, en est l’une des expressions les plus sournoises et les plus achevées… l’internationalisme prolétarien se confondant avec l’hyper capital sans patrie ni attaches.

Et puis ce ne sont pas de simples intentions, des mots creux, presque incantatoires, style « politique économique alternative », qui vont sortir les Grecs de l’ornière. Que Tsipras - le premier des Premiers Ministres qui ne prêtera pas serment sur les Évangiles mais sur la Constitution parce qu’il est un athée revendiqué - peut-il faire ? Renégocier la dette pour allonger les délais de remboursement, obtenir une réduction des taux [1] ? Mais jusqu’où et dans quelles mesures, alors que la dette atteint 175% du Pib ? Il y aura certes des abandons de créances mais pas sur la totalité des 240 milliards d’€ qui ont été avancés à Athènes par la Troïka, Fmi/Bce/Bruxelles.

La dette grecque n’est pas une si mauvaise affaire

Il est vrai que l’argent sorti des poches des Allemands y revient en grande partie sous forme d’achats d’armements – la Grèce a l’un des budget militaire les plus élevés d’Europe en raison de son agressif voisin Turc [2] – et de voitures de luxe destinées, entre autres, aux nomenklaturistes des successives bureaucraties au pouvoir. Au demeurant Tsipras, pour rassurer les créanciers de la Grèce, et par voie de conséquence « les marchés », a annoncé sa ferme volonté de ne sortir ni de l’Euro ni de l’Union. Pas plus que de déclarer un moratoire unilatéral sur la dette ou de d’en dénoncer certaines composantes comme scélérates, ce que firent quelques pays en faillite au cours des dernières décennies [3].

De ce seul point de vue Tsipras est un européiste comme les autres, qui ne se démarque en rien de ses collègues socio-libéraux ou conservateurs. Aussi a-t-il été assez jubilatoire de voir comment en France, à gauche comme à droite, l’on s’est félicité, et même chaudement congratulé, de la victoire à Athènes de cette gauche de la gauche ! Mais après tout la Bce ne fabrique-t-elle pas en ce moment même des quantités phénoménales d’euros dont la valeur n’excède pas celle du papier sur lequel les billets sont imprimés ? C’est évidemment avec cette monnaie de singe que les caisses grecques seront renflouées. M. Tsipras ne doit pas en douter, sûr qu’il est de se faire en la circonstance le comparse choyé de la bureaucratie mondialiste enkystée à Bruxelles.

Tout le monde sera content, les banques continueront de toucher leurs intérêts, les marchés à se gaver, les États prêteurs à se sucrer au passage, le patrimoine industriel sera toujours et encore tranquillement vendu à l’encan – tout comme celui des Français d’ailleurs – et les Grecs pousseront un immense soupir de soulagement après cinq longues années de vaches maigres. Mais sur le fond rien ne sera résolu. Ce nouveau tour de passe-passe parviendra cependant, espérons-le, à relancer la machine économique et la croissance… pour un temps ! Mais rien ne changera quant au déficits structuraux dont soufre la Grèce [4]… et l’Europe du Sud en général.

26 janvier 2015

Notes

[1L’Allemagne et la France ont prêté, l’une 60 md d’€, la seconde 40 mds à la Grèce au taux de 4%. De l’argent sans odeur emprunté par les prêteurs à 1% ! Chaque Français au final est lui-même endetté à hauteur de 615 € au profit de la Grèce.

[2La Grèce n’a pas oublié les deux vagues d’invasion de l’Opération Attila en juillet/août 1974 qui ont abouti à la création d’une enclave turque à Chypre. Malgré un timide réchauffement au tout début du nouveau millénaire, à Athènes la défiance à l’égard des intentions d’Ankara reste de mise. En 2000 le budget militaire grec se montait à 5 921 millions d’€ soit 4,9 % du Pib ; en 2003, 4,3 % du Pib avec 6 309 millions d’€ ; en 2009, avec 7 311 millions d’€ il était encore à 3,1 % du Pib avant de redescendre, crise oblique à 2,1 % du Pib, 4 622 millions d’€, en 2011.

[3Tels L’argentine qui a refusé d’obtempérer aux oukases des « fonds vautours » ou plus récemment l’Islande. Certains pays ont depuis plus d’un siècle régulièrement dénoncé des dettes indues juridiquement qualifiées de « dettes odieuses ».

[4Ce sont les mauvaises habitudes culturelles acquises et héritées – celles qui imprègnent et intoxiquent la Grèce – qu’il s’agirait de curer. Qui s’attèlera par exemple, au chantier consistant à réaliser et imposer un cadastre ? Ou à faire renoncer les Grecs aux avantages et autres privilèges accumulés au cours d’un demi siècle de démagogie socialiste, exception faite de la parenthèse du « régime des colonels » ? La cure d’austérité, le remède imposé par l’Union, n’a non seulement pas guéri le mal, il l’a aggravé : les retraites et les salaires ont été sévèrement réduits ; aujourd’hui la moitié des salariés gagnent moins de 700 euros par moins contre 1000 avant la crise ; en 5 ans le chômage a doublé, un quart des Grecs est sans emploi ; un Grec sur quatre vit sous le seuil de la pauvreté ou ne bénéficie d’aucune assurance sociale.

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