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Faillite de l’Europe : reculer pour mieux sauter !

Léon Camus

lundi 7 novembre 2011

Comment voir clair dans l’infernal embrouillamini des crises enchevêtrées : dettes publiques, banques, instabilité et irrationalité des marchés ? Et ce n’est pas M. Sarkozy avec son pédagogisme à deux balles qui nous y aidera, bien au contraire ! D’ailleurs y comprend-t-il lui-même quelque chose ? Ce n’est pas sûr ! Quant à nous, nous nous essayons de progresser à travers ce maquis armés uniquement du sabre d’abattis qu’est le bon sens…

Premier constat élémentaire, ces braves gens, les pacsés Merkel & Sarkozy ne viennent pas au secours de la Grèce comme ils le clament. Ils viennent à la rescousse de la zone euro et de cette construction contre-nature qu’est l’Union européenne. Contre-nature en ce qu’elle se construit sur de soi-disant « valeurs » à rebours des racines authentiques, organiques, vitales de l’Europe réelle. Ce faisant ces deux personnages agissent au profit exclusif de leurs propres banques dont l’exposition à la dette grecque est forte dans les deux cas [1] : la Grèce coule et avec elle les principales banques des deux alliés !

Notons à ce propos que l’accord intervenu le 27 octobre 2011 au petit matin n’apporte aucune solution durable – un qualificatif à la mode [2] - à la crise de Eurozone ni pour la crise de la dette publique souveraine ni pour celle des banques. Mme Merkel a cependant eu gain de cause en obtenant pour les financiers et les spéculateurs le renoncement – et donc la perte - de 50% de leur créance sur la Grèce, soit de 100 à 180 de milliards d’€uros alors que M. Sarkozy, ménager de ses compradores, voulait limiter la casse à 30% [3] . Mais lui aussi est gagnant en ce qu’à travers cet accord il s’est acheté du temps, le délai nécessaire pour aller jusqu’à l’échéance des présidentielles sans avoir à résoudre le problème sur le fond. Après nous et les élections, le déluge. Cela en ménageant la banque, laquelle, en contrepartie de ses pertes, obtient une garantie de fonds à hauteur de 30 mds d’€… Cet abandon volontaire d’une partie de la créance permet ainsi de ne pas prononcer le mot fatidique de « faillite » : ce sont les banquiers qui font acte délibéré et non Athènes qui les place devant le fait accompli.

En effet la réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’Union, les caïds de la Commission européenne, les présidents des établissements bancaires et Mme Lagarde, ci-devant directrice du Fonds monétaire international, réunis à Bruxelles dans la nuit du 26 au 27 octobre afin de trouver une sortie de crise pour la Grèce - en proie à un désarroi croissant prise qu’elle est dans l’étau de mortels plans d’austérité - s’est tenue sous la menace de faillites en cascade des grandes banques privées françaises, allemandes, espagnoles, grecques, italiennes, portugaises, belges… Celles-ci ayant il est vrai, multiplié depuis 2007 les comportements à risque afin de maximiser leurs profits à court terme et satisfaire la voracité cannibale de leurs actionnaires, tout en rémunérant grassement leurs dirigeants intègres !

Ayons à l’esprit que les prêts à la production et à la consommation ne représentent que 2 à 5% de l’activité bancaire et qu’à ce titre les flots d’argents déversés par la BCE depuis 2008 pour renflouer les établissements financiers et rétablir leur solvabilité n’aura servi en fin de compte qu’à la relance de leurs mauvaises pratiques… notamment la spéculation sur la dette souveraine des États membre de l’Euroland. Pour ce faire, les banques qui se financent à court terme, s’engagent sur le long terme – à dix ans voire à 30 ans - dans le cas d’obligations d’État. Or si ces derniers, écrasés par le poids du service de leur dette, connaissent eux aussi un déficit de solvabilité - avec dégradation de leur note de gueule à la clef - c’est tout l’édifice de la confiance qui menace de se délabrer. Alors s’instaure un cercle vicieux qui, en augmentant le risque de défaut de paiement, fait croître les taux d’intérêts accentuant le risque de faillite tout en déstabilisant l’édifice financier dans son ensemble.

Dans cette méchante perspective, la faillite de la banque franco-belge Dexia au début du mois d’octobre n’était qu’un signe avant-coureur de ce qui pourrait bien advenir dans les prochains mois aux réseaux bancaires européens en raison du dérapage d’une dette publique devenue immaîtrisable pour les principales économies de l’Union – Italie, France, Allemagne. Crise aiguë dont la contagion s’étendra, n’en doutons pas, aux États-Unis. On comprends mieux l’insistance de M. Sarkozy à vouloir faire « recapitaliser » les banques - à hauteur de 108 mds d’€ - même si nombre de patrons du secteur jugeaient encore il y a peu inutile un quelconque apport de liquidités (virtuelles), les établissement bancaires disposant en principe de suffisamment de fonds propres… et les pertes éventuelles devant être le cas échéant prises en comptes de provisions avec pour seule conséquence une diminution des bénéfices et une réduction subséquente des dividendes ! C’était au demeurant la conclusion des tests de résistance - stress tests – auxquels les établissements bancaires européens avaient été soumis en juillet dernier [4].

Reste que la rentabilité - c’est un fait - des banques européennes est à présent en chute libre. Une tendance lourde qui devrait s’accentuer en 2012, plombées qu’elles sont par l’hypothèque de l’insolvabilité grecque comme détonateur de l’implosion du secteur bancaire européen. Certains experts avancent déjà l’hypothèse de 10% de faillites bancaires dans les mois qui viennent. Quelle sera en effet la situation le jour l’Italie berlusconienne dont la dette est six fois supérieure à celle de la Grèce, ou l’Espagne dont la dette est également particulièrement inquiétante, seront en cessation de paiement ? Et bien la plupart des banques commerciales allemandes, françaises se retrouveront en dépôt de bilan ! Pourtant, grâce au ciel et à l’Empire du Milieu, Pékin pressé de se délester de ses réserves de change en Dollars de papiers – 3040 mds de monnaie de singe ! – et de les convertir en Euros, se propose de venir au secours de l’Europe et de sa grande braderie à venir. Notons que si l’économie américaine entre en récession, le marché intérieur chinois, aussi vaste soit-il, ne suffira pas à soutenir son économie et le collapsus sera alors mondial.

Parce que ce ne sont pas les mesures utiles, nécessaires mais trop tardives - des règles prudentielles élémentaires que la crise de 2008 n’a pas incité les gouvernements à imposer au marchés ; au contraire ceux-ci ont poursuivi leur chemin pavé de nuisance et de superprofits - que seraient une sévère réglementation des marchées, la traçabilité des mouvements de capitaux, un étroit encadrement de la spéculation et sa taxation - mais toute règle n’est-elle pas destinée à être contournée ? – assortis d’une séparation entre les activités bancaires, banques de dépôt d’un côté et banques d’investissement de l’autre
 [5].

Mais parce que cela ne sera pas mis en œuvre, demeure deux ou trois sorties de crise désormais possibles : la faillite assumée de la Grèce… puis de l’Irlande, du Portugal, voire de l’Espagne… ou plus original, la sortie de l’€uro de l’Allemagne. Enfin, ultime éventualité, la guerre.

À propos de l’Allemagne court une folle rumeur. Nos cousins d’Outre-Rhin - lesquels ont gardé en mémoire la République de Weimar et ses valises de billets tout comme les É-U restent hantée par la Grande dépression quatre-vingts ans après - s’opposeront mordicus à la politique de la planche à billets sur le modèle de la Réserve fédérale américaine. Or le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble pense apparemment à claquer la porte de l’€uro si des émissions monétaire massives, qu’il juge suicidaires à terme, était décidées en dernier recours. « De La Rue », entreprise britannique tête de file mondiale dans l’impression de billets [6], aurait ainsi - selon une fuite… à visée manipulatoire ? - reçu commande pour l’impression de nouveaux Deutschemarks !? En outre, dans un récent entretien accordé au Spiegel [7], Wolfgang Schäuble envisage implicitement une sortie de l’€uro : « Nous sommes confrontés à des événements que nous n’avions pas prévus…[et après avoir abordé la lancinante question du vieillissement allemand, il s’agit aujourd’hui de] sécuriser notre prospérité à long terme »… car rentes et pensions sont les premières frappées par l’inflation, aurait-il pu ajouter !

Dans ce même entretien le ministre allemand n’hésite pas à évoquer ces deux voies de sorties de crise que seraient l’inflation (la dévaluation de la monnaie unique) et/ou « la guerre » comme moyen de gommer la dette et pour terminer pose la question d’une « réforme monétaire ». Dans sa bouche il ne s’agit donc pas de « réforme fiscale » comme celle que les Français entendent mettre sur la table dans le cadre de plans d’austérité… qui n’osent pas dire leur nom. Ce ne sont pas non plus des mesures budgétaires portant sur la forme et la nature de l’impôt (assiette et répartition des impôts directs, augmentations des taxes telle la TVA), ni d’une réduction des dépenses publiques... Ce sur quoi Wolfgang Schäuble conclut : «  vous avez exactement décrit l’énorme défi historique que nous affrontons ! ».

Reste une solution à portée de toute les bourses nationales – sans jeu de mots - pour désamorcer la bombe à retardement de la dette souveraine et en premier lieu celle d’une Grèce définitivement insolvable, amorce d’une réaction en chaîne affectant toutes les économies défaillantes de l’Eurozone… fruit d’années de démagogie et d’incurie politique. N’est-ce pas le président français qui dans son intervention télévisée du 27 octobre 2011 avouait, sans se rendre compte de la portée de ses paroles, que « la France élabore, depuis 1974, un budget en déficit ». Situation dans laquelle il a lui-même sa part cruelle de responsabilité ayant été ministre du budget entre autres de mars 1993 à mai 1995… il faudra s’en souvenir !

Cette solution radicale consiste donc à ce que la Grèce sorte de l’€uro et déclare sa dette « odieuse » [8], autrement dit non fondée, en tout ou en partie. Déjà des voix s’élèvent un peu partout qui réclament un « audit » des dettes souveraines et de celle-ci en particulier afin de les passer au scanner et de déterminer leur degré de légitimité ou d’illégitimité. Procédure qui a été suivie avec succès par quelques pays placés le dos au mur. Un seul exemple, celui de l’Équateur qui, en décembre 2008, asphyxié par le remboursement d’emprunts atteignant 50% de son budget, a vu le président Raphaël Correa élu deux ans auparavant, refuser d’honorer 40% de la dette équatorienne considérés comme « illégitimes »… forçant ses créancier à abandonner 70% de leurs droits. L’Equateur entrait alors en défaut de paiement pour la 3e fois en 14 ans, cette fois non comme résultat non d’une faillite subie, mais en tant qu’effet d’une décision politique et économique réfléchie, en un mot en tant qu’acte souverain volontaire et unilatéral.

« J’ai donné l’ordre de ne pas payer les intérêts. Le pays est donc en défaut sur sa dette extérieure. Nous savons qui nous affrontons, de véritables monstres qui n’hésiteront pas à tenter d’écraser le pays, mais je ne pouvais pas permettre qu’on continue à payer une dette immorale et illégitime. En tant que président de la République, j’en assume toute la responsabilité » déclarait le 12 décembre 2008, Rafael Correa avec un certain panache. Une ardeur à défendre les intérêts nationaux qui fait en la circonstance bien défaut aux ectoplasmes de la politique politicienne européenne.

Arrivés à échéance le jour même de ce discours prononcé à Guayaquil, 30,6 millions de $ d’intérêts dus sur des bons à échéance 2012 n’étaient pas réglés. Une décision suivie du refus d’assumer le service de la dette libellée en bons à échéance de 2015 et 2030 pour un montant total de 3 mds 230 millions de $. Les créances bancaires contestées totalisaient à cette date 3,8 mds de dollars, soit avons-nous dit, près de 40% de la dette publique extérieure de l’Equateur d’un montant total de 9,9 mds de $. Il s’agissait principalement de bons du Trésor objets de transaction sur les marchés financiers et en particulier sur celui de Wall Street. Or devant la détermination du pouvoir équatorien, les détenteurs de ces titres de dette ont alors commencé à les brader à 20 % de leur valeur ce qui permit au gouvernement équatorien de racheter 91 % de ces titres mis sur le marché au coût réduit de 900 millions de $. La dette ainsi récupérée à prix cassé – avec les intérêts qui ne seront pas à déduire d’ici 2030 – l’Équateur a réalisé un gain de 7 mds de $. À partir de là, le service de la dette équatorienne qui se montait à 32 % du budget de l’État s’est trouvée diminuée de moitié… Quelle autre démonstration faut-il ?

Considérant qu’à l’instar de l’Equateur, l’Argentine et le Paraguay ont eux aussi refusé de payer leurs dettes à la Banque mondiale, au Fmi, au Club de Paris et aux banquiers, il semble parfaitement envisageable pour un pays surendetté - au-delà du raisonnable - comme la Grèce, à l’économie laminée par des taux d’intérêts longtemps insupportables [9], de refuser de payer les usuriers qui le traquent. Et qu’a contrario du vent de panique que souffle les médias et les économistes, cela ne débouchera pas nécessairement sur le chaos… l’Argentine connaît actuellement un taux de croissance d’environ 8 % depuis 2003, quant à l’Equateur le sien oscille entre 3 à 4 %…

L’ex président de la République française, Valéry Giscard d’Estaing ne disait d’ailleurs pas autre chose lorsque, s’exprimant le 26 octobre à propos de la crise européenne sur RTL, il appelait les responsables européens «  à voir un peu plus loin... On exagère, tout le monde panique mais le Pib de l’Europe est 3 fois celui de la Chine ». Reste que si M. d’Estaing à raison sur les chiffres, la réalité ultime se situe d’abord dans la perception subjective et irrationnelle des hommes… et les chefs d’État et de gouvernement ne sont que des hommes, trop souvent médiocres parce qu’issus des filières de l’opportunisme et d’appareils politiques partisans ! Nous pouvons alors tout redouter de leur capacité limitée à faire passer l’intérêt général, celui des peuples, avant celui des groupes de pression, des minorités agissantes et de l’omnipotent Marché. N’est-ce pas au fond ce qu’en substance a laissé entendre M. Henri Guaino, proche conseiller de M. Sarkozy, lorsqu’il il évoquait ce lundi 31 octobre, à la veille du sommet du G20 des 3 et 4 Novembre 2011, une imminente « catastrophe planétaire » … dans le cas, il est vrai, où la Chine s’abstiendrait de voler au secours de l’Europe défaillante ?

Notes

[1Les établissements français sont les plus engagés en Grèce, leurs créances atteignent quelque 53 mds d’€, dont 30 mds pour le Crédit Agricole et 5 mds pour BNP Paribas auxquels s’ajoutent 3 mds d’engagements commerciaux sur des entreprises privées grecques. Les banques allemandes, qui ne disposent pas de filiales en Grèce cumulent une exposition de 11,6 mds d’€ (Commerzbank 2,9 mds – idem pour la Deutsche Bank 2,9 mds).

[2«  La détermination de la chancelière et de moi-même est totale pour apporter des réponses ambitieuses et durables » dixit M. Sarkozy au soir ce cet accord mémorable.

[3Le sommet européen du 21 juillet n’avait envisagé qu’une déduction de 21% inévitable depuis l’effondrement des prix à la revente des obligations d’État : les titres grecs supportaient une décote de 65 à 80%. Aussi lorsque les gouvernements annoncent qu’ils sont parvenus à imposer, après d’âpres négociations, d’importants sacrifices aux banques, ils n’ont fait qu’entériner un état de fait. Du coup banquiers sont parvenu à sauver leur mise grâce aux politiques. Ceci expliquant cela, un rebond spectaculaire des marchés financiers et une remontée du cours des actions, ont immédiatement suivi l’accord du 27 octobre.

[4Seulement huit banques européennes sur quatre-vingt dix - dont cinq espagnoles – n’avaient pas réussi à leur examen de passage aux stress tests de juillet 20011. Les établissements italiens, portugais, français et allemands ont été déclaré solides, les recalés par contre devant lever 2,5 mds d’€ de capital pour se mettre en conformité avec les exigences de l’Autorité bancaire européenne.

[5En 1933 était voté aux Etats-Unis le Glass-Steagall Act ou Banking Ac établissant une stricte séparation entre banques de dépôt et banques d’investissement avec pour objectif de protéger les épargnants des risques liés aux foucades des activités spéculatives. Les banques de dépôts se voyaient interdire les activités d’investissement comme l’achat d’actions ou de produits financier titrisés ou leur échange. Elles ne devaient à ce titre user de l’épargne en dépôt que pour des prêts aux ménages, aux entreprises ou à d’autres banques.

[8L’ancien ministre du Tsar Alexander Nahum Sack qui après la révolution de 1917 émigra à Paris où il devint professeur de droit et théoricien de la doctrine de la dette odieuse écrivait en 1927 : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir. »

[9Les taux imposés à la Grèce étaient de 6.4% en 2007, 9.8% en 2008 et 15.4% en 2009, mais reviennent à 1.4% en 2010, suite aux mesures prises sous la pression de l’UE et du FMI.

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