La liste est longue et elle ne s’arrêtera certainement pas là. La trêve des confiseurs n’est pas celle des terroristes de tous bords et nos responsables politiques ne l’ignorent pas en dépit de leur débilité, ce pourquoi l’état d’urgence a été prorogé jusqu’en juillet 2017. Or n’ayons aucune illusion, de l’état d’urgence à l’état d’exception il n’y a qu’un pas et en dernier recours, tout sera bon pour éventuellement bloquer le processus électoral afin de barrer la route à un gouvernement teinté de souverainisme et potentiellement démissionnaire de l’Union européenne à l’imitation du Royaume-Uni.
Maintenant quoi qu’en disent les super experts qui prolifèrent dans les médias, l’attentat d’Ankara, dans le présent contexte de surtension internationale, au Levant comme en Mer du Japon, présente d’inquiétantes similitudes avec l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand et son épouse la duchesse de Hohenberg, le 28 juin 1914 à Sarajevo par le soi-disant nationaliste serbe de Bosnie, Gavrilo Princip, personnage éminemment ambigu. Les grands embasements commencent généralement à cause d’une étincelle, or d’aucuns s’emploient en ce moment, de toute évidence, à battre furieusement le briquet - fer sur silex et amadou - craignons donc qu’un vent propice ne propage les flammes des focos [2] qu’ils tentent d’allumer çà et là.
Berlin vraie capitale de l’Europe
Berlin le lundi 19 décembre, un camion immatriculé en Pologne fonce sur le marché de Noël de la Breitscheidplatz au pied de l’église du Souvenir ! Douze morts, 48 blessés. Attentat perpétré par un réfugié syrien entré en Allemagne en février. Les forces anti-terroristes encercleraient en ce moment même un centre d’accueil pour migrants. Mme Merkel, réélue le 6 déc. à la présidence de la CDU avec 89,5 % des voix, et qui apprécie tant ces “chances pour l’Allemagne”, ces hordes de jeunes hommes entreprenants appelés à revivifier le sang allemand et à combler les déficits démographiques d’une population vieillissante et décadente, doit se désoler car sa réélection en septembre 2017, aux fonctions de chancelier pour un quatrième mandat, pourrait s’en trouver compromise. La pauvre !
L’attaque rappelle évidemment l’attentat de Nice, qui a fait 86 morts le 14 juillet dernier lorsqu’un poids lourd conduit par Mohamed Lahouaiej Bouhlel a balayé la foule présente sur la Promenade des Anglais pour y assister au traditionnel feu d’artifice. L’État islamique avait revendiqué paraît-il le carnage. Notons qu’en France, le 20 novembre, sept interpellations opérées à Strasbourg et Marseille, avaient peut-être permis de déjouer un attentat de grande ampleur qui devait déjà avoir pour théâtre le marché de Noël de la capitale alsacienne. Or depuis le meurtre rituel du prêtre de l’église de St Étienne du Rouvray, les stratèges de la terreur savent combien il est payant de viser les symboles chrétiens, cela en termes de communication et de sidération des opinions européennes. Populations à la fois tétanisées de culpabilité à l’égard des réfugiés et des populations civiles réputées martyres d’Alep – des Syriens en réalité otages des takfiristes, mais présentées comme des victimes de l’ogre russe et du boucher de Damas – et en même temps révulsées par le monstre islamiste. De quoi rendre les malheureux européens totalement schizoïdes s’ils ne l’étaient déjà quelque peu, en plus d’être amnésiques et quotidiennement décérébrés par des médias ayant perdu toute décence ou toute mesure dans le mensonge et la propagande meurtrière préparant les esprits à la guerre intercommunautaire. Soyons indulgents, entre l’ignorance, la paresse et la bêtise, beaucoup de gens de presse sont des autosurintoxiqués aigus qui ne s’ébroueront que quant le réveil matin de leur opportunisme carriériste se mettra à sonner urgemment.
Ankara
Mevlut Mert Altıntaş
Le policier turc âgé de vingt-deux ans qui a putativement
« vengé les victimes des atrocités russes en Syrie ».
L’assassinat très spectacularisé de l’ambassadeur russe, Andreï Karlov, à Ankara [3] par un jeune policier d’une brigade anti-émeutes avant d’être promptement exfiltré – ainsi ne parlera-t-il qu’à qui-de-droit ! – pour, à ses dires, « venger le drame d’Alep »… Une tragédie parmi beaucoup d’autres à l’heure actuelle… et sur laquelle il y aurait beaucoup à dire ! Notons que cet assassinat est intervenu la veille d’une rencontre de concertation, le 20 décembre 2016 à Moscou, entre les trois ministres des Affaires étrangères de Turquie, d’Iran et de Russie afin de débattre du sort d’Alep et du dossier syrien de manière générale… et alors que Moscou venait - at last - de voter une Résolution du Conseil de Sécurité présentée par la France en faveur d’un contrôle de l’Organisation des Nations unies sur l’évacuation des civils du secteur Est d’Alep. Un vote de bonne volonté intervenant après six vétos successifs sur des Résolutions occidentales relatives au règlement du conflit syrien. Y a-t-il ici une pure coïncidence ou faudrait-il supposer que certaines mains invisibles aient eu tout intérêt à refroidir les relations russo-turques à nouveau distendues par la volonté affichée de l’autocrate Erdogan de n’avoir d’autres buts de guerre en Syrie que d’abattre le régime de Damas… n’ayant au fond cure d’un État islamique, fort utile à l’occasion pour servir la stratégie pantouranienne d’Ankara dans la Région et au Caucase.
La désignation immédiate par les autorités turques – comme responsable de l’attentat - d’un séide du maître soufi Fethullah Gülen réfugié aux États-Unis, ne trompe en fait personne, tous les yeux avertis voyant là une dénonciation à peine déguisée des Services spéciaux américains. De ce point de vue, loin de fâcher Moscou et Ankara, ce meurtre pourrait en réalité et paradoxalement, les rapprocher. Surtout si l’on se place dans l’hypothèse d’une possible sortie de la Turquie du commandement intégré de l’Otan au printemps prochain lors du prochain sommet du Pacte atlantique… Mais à ce stade nous en sommes réduits à des spéculations que nous ne saurions pousser trop loin !
Des rappels historiques intéressants
L’assassinat d’Andreï Karlov qualifié à juste titre de « provocation » par le président Poutine, n’a eu comme précédent que celui d’Alexandre Sergueïevitch Griboïedov en Perse, le 11 février (30 janvier) 1829. À peine installé à Téhéran, l’ambassade russe est assaillie par une foule en furie, Griboïedov est tué et avec lui ainsi tout son personnel diplomatique. Pendant trois jours les émeutiers s’acharnent sur la représentation russe et c’est par miracle que son corps soit identifié grâce à la cicatrice de l’une de ses mains, souvenir d’un duel. L’histoire à retenu que ce saccage aurait été perpétré à l’instigation du docteur McNeill, diplomate et agent de la Couronne britannique en Perse… laquelle voulait évincer la Russie de ce qui allait devenir l’une des chasses gardées de l’Empire insulaire. Nihil novi sub sole.
L’Orient proche n’est guère tendre avec les diplomates anglo-américains pratiquant leurs missions dans le cadre d’un “soft mâtiné de hard power”, une diplomatie discrètement mais fermement subversive qui ne leur réussit qu’à moitié [4]. Ainsi dans la nuit du 11 au 12 septembre 2012, l’ambassadeur américain en Libye Christopher Stevens et trois autres fonctionnaires yankees étaient trucidés et leurs dépouilles brûlées dans une attaque lancée contre leur consulat de Benghazi, à l’est de la Libye. Embarrassé, le Secrétaire d’État Hillary Clinton expliqua qu’il s’agissait de représailles pour la diffusion d’un film blasphématoire par Hollywood. En réalité Chris Stevens se serait principalement préoccupé d’envoi d’armes lourdes, tirées des arsenaux de la défunte Jamahiriya libyenne aux djihadistes syriens, ces terroristes modérés, si chers à M. Fabius, et qui tenaient jusqu’à ces derniers jours Alep Est en otage en en affamant les civils. Bref Benghazi fut vraisemblablement une vaste opération de “cover-up” - dit en jargon du métier - dénoncée à l’époque par le Sénateur John McCain, le même qui deux ans plus tard devait rencontrer ses nouveaux bons amis d’Al Nosra.
Pour mémoire rappelons la fin tragique le 4 septembre 1981de Louis Delamarre, représentant français au Liban, assassiné à bord de sa voiture de onze balles tirées à bout portant. À l’époque, La Voix du Liban avait cru pouvoir affirmer que l’attentat était le fait des Pasdaran, les Gardiens de la révolution iranienne. Leur but aurait été d’enlever le diplomate français en vue de faire pression sur Paris afin d’obtenir que leur soit livré l’ancien président iranien Banisadr et le chef des Moujahidines du Peuple, Massoud Rajawi, résidant en France l’un et l’autre où ils avaient obtenu l’asile politique. Le 23 octobre 1983, le Drakkar, un immeuble abritant le contingent français de la « Force internationale d’interposition » sautait faisant 58 morts parmi nos soldats. L’affaire Delamarre ne fut évidemment jamais élucidé et depuis 1948 et la création d’un État artificiel au Levant, la région reste plus que jamais une poudrière à ciel ouvert qu’un rien pourrait définitivement embraser et nous avec.
LC 20 décembre 2016