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Dématérialisation des services publics et isolement digital

jeudi 27 avril 2023

Dématérialisation et services publics : une nouvelle étude pointe l’insatisfaction des Français

Un sondage réalisé pour Le Sens du service public souligne la perception négative des usagers vis-à-vis des administrations ayant opté pour des relations « tout numérique ». Les structures qui préservent des guichets physiques, notamment les collectivités, sont les mieux notées.

L’Intelligence artificielle prendra le contrôle de l’Etat.

Par Emmanuelle Quémard

Il ne s’agit pas encore de défiance, mais le niveau global de satisfaction des Français à l’égard de leurs services publics n’a jamais paru aussi faible. C’est en substance ce qui ressort du premier Palmarès des services publics publié le 21 avril par le cercle de réflexion Le Sens du service public.

Basé sur un sondage réalisé par l’institut Opinionway (1), ce document révèle, en effet, qu’un fossé est en train de se creuser entre les usagers et un grand nombre d’administrations. Dans ce contexte, c’est Pôle emploi qui fait figure de lanterne rouge. Avant même d’opérer sa mue vers le futur France Travail, le service public de l’emploi n’obtient pas la moyenne auprès des personnes interrogées. Avec une note de 4,9 sur 10, Pôle emploi ferme même la marche de ce palmarès. Un palmarès où la Caisse d’allocations familiales (notée à 5,7), les préfectures (5,7 également), le service des impôts (6,2) ou l’Assurance retraite (6,3) figurent aussi parmi les plus mal classés.

Les collectivités locales tirent leur épingle du jeu

À l’opposé, l’Assurance maladie décroche l’indice de satisfaction le plus élevé (6,6). La Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) est talonnée par les collectivités territoriales (6,5) et les hôpitaux (6,4), qui se hissent également sur le podium.

L’étude montre, par ailleurs, que la qualité d’un service public semble directement liée à sa proximité vis-à-vis de l’usager. Ainsi, pour ne citer que l’exemple des collectivités locales, ces dernières obtiennent les meilleurs scores de satisfaction en province (6,6 contre 6,1 en Île-de-France), en zone rurale (6,8) ou dans les villes de petite taille (6,8 pour les villes dont la population est comprise entre 2000 et 20 000 habitants). A l’inverse, on observe un léger recul de la satisfaction lorsqu’il s’agit de services rendus par les agglomérations de plus de 100 000 habitants ou par les structures territoriales situées en région parisienne (respectivement notées 6,3 et 6,1).

Un besoin de proximité et de guichets physiques

Le sondage réalisé par Opinionway pointe, en outre, la perception encore plus négative éprouvée par les Français vis-à-vis des services publics dématérialisés. Alors qu’un tiers des usagers ont contacté un service public par téléphone ces derniers mois, plus de la moitié de cet échantillon (52 %) se dit insatisfaite de cet appel. Seule une petite minorité (10 %) affirme avoir obtenu une totale satisfaction à l’occasion d’une démarche effectuée via un standard ou une plateforme téléphonique. « Les usagers sont plus satisfaits par les services publics qui ont conservé des guichets et accueils physiques », observe Le Sens du service public.

Pour autant, les efforts entrepris ces dernières années par l’État pour maintenir des guichets physiques dans les territoires ne paraissent pas encore porter leurs fruits. L’étude Opinionway montre ainsi que les France Services, créées pour répondre aux besoins de proximité et d’accompagnement aux démarches numériques, restent largement méconnues : 54 % des personnes interrogées déclarent ignorer leur existence.

À noter que Le Sens du service public planche depuis plusieurs mois sur les effets pervers de la dématérialisation de l’administration. En octobre dernier, le groupe de réflexion co-fondé par Johan Theuret, directeur général adjoint de la ville de Rennes et de Rennes Métropole, avait remis au ministre de la Transformation et de la Fonction publiques une contribution articulée autour de « 35 mesures pour accompagner une dématérialisation inclusive ». Parmi ces propositions, le collectif appelait notamment l’État à « maintenir systématiquement une offre multi-canale de services publics et garantir la possibilité à tout citoyen de pouvoir entrer en contact avec un agent compétent qui sera en mesure de traiter son besoin ».

(1) Étude réalisée auprès d’un échantillon de 1004 personnes représentatif de la population française de 18 ans et plus. Les interviews ont été réalisées du 13 au 17 mars 2023.

Contribution relative aux nécessaires accompagnements à la dématérialisation des services publics

En janvier 2022, l’axe 3 du Manifeste du Think tank Le Sens du service public identifiait la problématique suivante : « la digitalisation, dans les services publics, doit faire de l’égalité d’accès sa priorité et contribuer à la lutte contre le non-recours aux droits »

Si la dématérialisation a permis un accès facilité à certains services pour une partie de la population (ex : déclaration fiscale en ligne, réservation de créneaux de rendez-vous en mairie, dépôt d’une procuration pour les élections, informations en ligne, simulateurs de droits…), elle s’est aussi souvent accompagnée d’une rupture avec d’autres parties de la population, notamment les plus vulnérables.

La barrière technologique (17% de la population française maîtrise difficilement les usages du numérique) se double ainsi bien souvent de fractures sociales, géographiques, générationnelles, d’usage… et d’une relation bien spécifique des Françaises et des Français aux administrations publiques (l’incompréhension du langage administratif, la crainte de mal réaliser une démarche, le souvenir d’une mauvaise expérience précédente, la complexité des circuits administratifs, l’enchevêtrement des compétences entre administrations, la fermeture des permanences…). La dématérialisation peut de ce fait ajouter à la complexité des démarches administratives une couche de complexité technologique.

Le sujet dématérialisation ne se résume donc pas aux seuls exclus du numérique – il touche aussi les plus jeunes générations –même si les publics les plus fragiles socialement sont aussi ceux qui sont le plus en lien avec les administrations, car ils en ont le plus besoin. Il touche surtout et avant tout à la nature des relations humaines et administratives.

Le « solutionnisme » technologique ne fait pas une politique. Le mouvement massif de dématérialisation des services publics sur les dernières années a ainsi alimenté le sentiment de retrait et d’abandon de l’État pour bon nombre de citoyens et de territoires. L’administration numérique n’a pas tenu toutes ses promesses. Et pour cause, elle ne saurait à elle seule répondre aux besoins croissants et multiples d’une société française fragmentée et déboussolée.

La dématérialisation des services publics s’est aussi organisée en ordre relativement dispersé entre les administrations, tandis qu’elle a conduit à complexifier et à fragmenter encore davantage l’action publique par de nouveaux acteurs et dispositifs (Hub territoriaux, Hubs France Connectée, Pass numériques, Maisons France Services, appels à projets…).

Rappelons aussi que l’usage croissant du numérique dans nos administrations les rend encore plus vulnérables et peut nuire au principe de continuité des services publics (cyber-attaques, dépendance aux pays fournisseurs de matériels, impact écologique du numérique…), d’autant que la manipulation de données personnelles suppose une relation de confiance qui s’est particulièrement délitée ces dernières années.

Il semble que nous assistions néanmoins à un changement de paradigme en matière de dématérialisation des services publics. Régulièrement conçue comme un moyen de réduire les coûts, fermer des « guichets » physiques, améliorer la performance des administrations, faciliter l’accès à l’information pour les usagers, cette dématérialisation peu sensible à ses impacts réels et « à marche forcée » est aujourd’hui remise en cause.

Plusieurs acteurs, sur lesquels nous prenons appui pour la présente contribution, se sont penchés sur la question et ont fait des propositions en la matière, qui pour certaines sont reprises ici à l’identique, à commencer par la Défenseure des Droits en 2019 et en 2022, ou encore la Sénatrice Patricia Dumas au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Nous considérons qu’il nous faut aujourd’hui réaliser un bilan objectif et sincère sur la dématérialisation des services publics et prendre le temps de la réflexion et de la co-construction pour envisager des services publics numériques réellement inclusifs dans une vision d’ensemble de la relation de service public à refonder.

Nous appelons ainsi le Gouvernement à co-construire cette nouvelle politique publique partenariale, outiller et donner de la visibilité pluri-annuelle aux différents acteurs, revoir certains dispositifs d’incitation ou d’accompagnement, clarifier les rôles des multiples intervenants, poursuivre le chantier de l’interopérabilité des politiques publiques et des systèmes d’information.

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