Une Europe obsédée par le report de l’âge de départ
Officiellement, la question des retraites relève des compétences des États. Il n’empêche, dans plusieurs rapports et documents, la Commission européenne se montre obsédée par l’âge de départ en retraite.
Le 27 juin 2021, elle publie ainsi un « livre vert sur le vieillissement » qui propose tout un tas de dispositifs pour un « vieillissement actif et en bonne santé », mais s’inquiète surtout du financement du système de retraite et d’une possible « diminution de la population en âge de travailler ». Il est relevé que, pour « garantir la viabilité des finances publiques » dans un contexte où « les personnes en âge de travailler sont moins nombreuses », les « taux de cotisation vont probablement augmenter ». Pas question de taxer le capital.
Mais, énonce le document, « l’allongement de la vie professionnelle est une réponse » pour maintenir le « taux de dépendance économique », à savoir le ratio entre actifs et retraités.
Pour qu’il soit le même en 2040 qu’en 2020, il faudrait porter la vie active à… 70 ans, et même à « 72 ans en Lituanie et au Luxembourg ».
Une carte présente région par région l’âge jusqu’auquel il faudrait théoriquement travailler pour remplir cet objectif (voir illustration). Seule alternative présentée à un tel choix : les « retraites complémentaires ». Cela n’est qu’un rapport, mais il montre l’état d’esprit qui règne à Bruxelles. « Le livre vert présente une analyse. Il doit être suivi d’un livre blanc qui se traduira en préconisations politiques concrètes. Ce sera l’objet d’une bataille », prévient Marc Botenga. Pour le député européen du Parti du travail de Belgique (PTB), « on casse un modèle de solidarité pour pousser les gens à travailler plus longtemps et adopter des formes de retraite par capitalisation. Il y a une vision très libérale qui fait le grand bonheur des fonds privés ».
« Une double responsabilité politique »
Il existe des dispositifs qui permettent à la Commission de faire valoir sa vision en matière de réforme des retraites. « Il y a le semestre européen », un cycle annuel de négociations entre Bruxelles et les États membres sur leurs budgets, informe Manon Aubry, présidente du groupe La Gauche (ex-GUE, Gauche unitaire européenne) au Parlement européen. Au nom du respect de la trajectoire des comptes publics qui, selon le traité de Maastricht, fait qu’un État n’est pas autorisé à présenter un déficit supérieur à 3 % du PIB, ceux-ci doivent présenter leur budget à Bruxelles, qui adresse ses appréciations. Les deux parties négocient les recommandations faites par l’exécutif européen.
« Depuis 2011, la Commission a demandé à neuf reprises à la France de réformer son système de retraite », recense la parlementaire. Paris n’est pas seul dans ce cas. « En 2019, quinze États ont été invités à changer leur régime de pension », précise l’eurodéputée insoumise. Pour Bruxelles, « l’assainissement budgétaire passe toujours par une coupe dans le système de protection sociale et de retraite », décrypte-t-elle. En réalité, Paris ne se voit pas imposé ce type de solution, qui est négocié. Dans son programme de stabilité 2022-2027 adressé à Bruxelles, le gouvernement Macron a mis en avant sa réforme des retraites pour revenir sous la barre des 3 % de déficit. « Il y a bien une double responsabilité politique », précise la députée, d’autant plus qu’en réalité les recommandations ne sont que peu suivies par les États : « 9 % d’entre elles seulement l’ont été, depuis 2011, par les gouvernements européens. »
En revanche, pour accéder aux 40 milliards d’euros de subventions et prêts du plan de relance européen, les États doivent donner des garanties, et Bercy s’est engagé sur la réforme des retraites. Le plan a été validé en juillet par Bruxelles et, depuis, le gouvernement français s’active sur le dossier.